Ceux avec lesquels il ne sert à rien de négocier

Il est des femmes et des hommes avec lesquels il ne sert à rien de négocier, non pas qu’ils se soient retirés sourds et aveugles dans le pays de Candy, mais en raison d’une exigence qui les ronge et qui leur impose de ne pas s’en laisser conter. Ils ne regardent du monde et n’écoutent de ceux qui les entourent que ce qui ne contrarie pas leur itinéraire. On demeure muet tandis qu’ils parlent, tandis qu’ils courent. Ils font voir pourtant ce qui mérite le détour, non pas tel ou tel objet, tel ou tel paysage, non rien de tout cela, mais l’exigence, l’aveuglement et la surdité qui la nourrissent pour se risquer un jour, accompagné du seul souvenir de ces êtres d’exception, dans l’inconnu.
Mais d’autres viennent ensuite, avec lesquels il ne sert à rien de traiter non plus. Voyants et muets ils obéissent à une autre exigence, celle qui anime le monde qu’ils habitent, diffuse et tremblante. Ils écoutent et font entendre le mystère sur lequel tout repose, balbutient un bref instant et se taisent.

Jean Prod’hom


XXXIII

Les larges manches des soutanes de nos hommes d’église ne conviendraient-elles pas mieux aux prestidigitateurs et à leurs tours de passe-passe?

Jean Prod’hom

Au carrefour

ll se retrouve là secoué comme chacun par la bonne et la mauvaise fortunes, peu à l’aise avec un avenir à l’horizon encombré, quelques souvenirs qui sortent la tête du brouillard, ceux avec lesquels il va. Et il est là, et il se demande comment il parviendra à l’essentiel.
En avançant à reculons peut-être pour ne pas ajouter de brillants au collier à deux sous de sa vie, pour se réconcilier avec le chemin fait de zigzags qui l’a conduit jusque-là, pour dire le vrai qui reste.

– En trente-sept ans je ne peux pas dire que j’ai appris grand chose. Quand même à desserrer les pièges, avec une pointe ou un petit bout de fer quelconque pour que la palette soit moins dure à déclencher. Dans le temps, j’étais comme les fermiers, je tendais le fer tel qu’il était, point dur à ce que je creuyais, et j’avais du mal à en prendre parce qu’il fallait que la taupe force. Quand la palette est plus souple, qu’elle fonctionne bien, les taupes se prennent.
Et puis, au début, je cherchais toujours la passée centrale, maintenant c’est souvent en bout de passée, là où elles vont reprendre leur ouvrage, que je les attrape. La pratique y fait un peu quand même. Je sais qu’il faut trier les pierres jusqu’à la dernière. En commençant je disais: il y a quelques pierres, elles ne vont peut-être pas gêner, et si une pierre retenait le piège eh bien la taupe était partie.

Jean-Loup Trassard, Conversation avec le taupier
Le temps qu’il fait, 2007

Jean Prod’hom