Dimanche 23 août 2009

Les gouttelettes pendues aux oreilles du trèfle, alourdi par la pluie tombée sans discontinuer pendant la nuit, brillaient et prolongeaient l’esprit de fête des jours passés, les foins, les moissons. Mais la rouille qui avait fait son apparition à la lisière du bois sur les feuilles de la première rangée, là-bas au loin, trop loin pour qu’on soit en mesure d’identifier l’essence, annonçait qu’il fallait compter avec la roue des saisons. Peu de mouvement dans ce tableau vivant, sinon celui de quelques nuages attardés, joufflus et souriants, qui avançaient haut dans le ciel en direction de l’ouest pour rattraper le temps perdu. La façade blanche de la maison frappée par le soleil faisait songer aux lumières de l’hiver. Les volets sombres, les fenêtres et la porte fermées, son éloignement aussi lui donnaient l’air buté. Depuis longtemps déjà ni le train ni le bus ne traversait plus cet appendice du monde que seuls deux agriculteurs du village et un vieux gardaient en vie.
La porte s’entrouvrit et le vieux sortit de la maison blanche pour s’approcher d’un pas hésitant du potager clos d’un treillis sans âge, il n’y pénétra pas mais regarda longuement les chétifs légumes qui enfonçaient leur tête dans les épaules. (Les légumes désespèrent à une telle altitude lorsqu’ils sont sans soin.) Il se dirigea ensuite vers le cabanon de la lisière, qu’il regarda avec l’esprit ailleurs, comme un aveugle. Il revint dans le verger les bras dans le dos, il s’immobilisa, appuya sa canne contre un pommier des moissons, croisa les bras sur la poitrine. Il portait une vieille salopette bleu roi et une chemise vert moutarde, des rides matelassaient son visage, il semblait visiblement indifférent au tour que prenait son domaine. Il croqua dans une pomme qu’il abandonna aussitôt dans l’herbe. Il se rendit alors d’un pas hésitant au bout de l’allée, ne se servant qu’à peine de sa canne sur laquelle il s’appuya pourtant pour ouvrir la boîte aux lettres. Il se redressa, les mains vides, reprit sa lente marche en direction de la maison dans laquelle il disparut, sans même avoir jeté un seul coup d’oeil au ciel qui avait retrouvé des airs de printemps.

Jean Prod’hom

Ceux avec lesquels il ne sert à rien de négocier

Il est des femmes et des hommes avec lesquels il ne sert à rien de négocier, non pas qu’ils se soient retirés sourds et aveugles dans le pays de Candy, mais en raison d’une exigence qui les ronge et qui leur impose de ne pas s’en laisser conter. Ils ne regardent du monde et n’écoutent de ceux qui les entourent que ce qui ne contrarie pas leur itinéraire. On demeure muet tandis qu’ils parlent, tandis qu’ils courent. Ils font voir pourtant ce qui mérite le détour, non pas tel ou tel objet, tel ou tel paysage, non rien de tout cela, mais l’exigence, l’aveuglement et la surdité qui la nourrissent pour se risquer un jour, accompagné du seul souvenir de ces êtres d’exception, dans l’inconnu.
Mais d’autres viennent ensuite, avec lesquels il ne sert à rien de traiter non plus. Voyants et muets ils obéissent à une autre exigence, celle qui anime le monde qu’ils habitent, diffuse et tremblante. Ils écoutent et font entendre le mystère sur lequel tout repose, balbutient un bref instant et se taisent.

Jean Prod’hom


XXXIII

Les larges manches des soutanes de nos hommes d’église ne conviendraient-elles pas mieux aux prestidigitateurs et à leurs tours de passe-passe?

Jean Prod’hom