Au carrefour

ll se retrouve là secoué comme chacun par la bonne et la mauvaise fortunes, peu à l’aise avec un avenir à l’horizon encombré, quelques souvenirs qui sortent la tête du brouillard, ceux avec lesquels il va. Et il est là, et il se demande comment il parviendra à l’essentiel.
En avançant à reculons peut-être pour ne pas ajouter de brillants au collier à deux sous de sa vie, pour se réconcilier avec le chemin fait de zigzags qui l’a conduit jusque-là, pour dire le vrai qui reste.

– En trente-sept ans je ne peux pas dire que j’ai appris grand chose. Quand même à desserrer les pièges, avec une pointe ou un petit bout de fer quelconque pour que la palette soit moins dure à déclencher. Dans le temps, j’étais comme les fermiers, je tendais le fer tel qu’il était, point dur à ce que je creuyais, et j’avais du mal à en prendre parce qu’il fallait que la taupe force. Quand la palette est plus souple, qu’elle fonctionne bien, les taupes se prennent.
Et puis, au début, je cherchais toujours la passée centrale, maintenant c’est souvent en bout de passée, là où elles vont reprendre leur ouvrage, que je les attrape. La pratique y fait un peu quand même. Je sais qu’il faut trier les pierres jusqu’à la dernière. En commençant je disais: il y a quelques pierres, elles ne vont peut-être pas gêner, et si une pierre retenait le piège eh bien la taupe était partie.

Jean-Loup Trassard, Conversation avec le taupier
Le temps qu’il fait, 2007

Jean Prod’hom

14

Au milieu du verger, entouré de tout jeunes arbres, un vieux pommier soutenu par des étais de fortune, chargé et fatigué comme une femme enceinte seule à midi sur la place publique.

Jean Prod’hom

13

Il y a des jours qu’on voudrait ne pas avoir à entamer ou, puisqu’il est trop tard, hors desquels on voudrait sortir au plus vite, arriver au soir. Des jours sans bord, sans bout et sans forme, rongés par l’horloge, eau morte, des jours moites, noyés dans une haine et une chaleur lourdes et diffuses.
Alors on la passe comme une longue douleur qui va bien finir avec la venue du soir. On a beau gesticuler, aller et venir, le ciel n’est pas là, invectiver ou sourire, rien n’y fait. Aucune entreprise ne trouve son assise, les oiseaux se taisent, les nénuphars se cachent. On voit grossir les soucis nés de l’orgueil, à la presse de rien, à la presse de tout, capable seulement de vouloir en découdre avant d’en découdre, secoué par les chiffres d’oisifs calculs sans fin.
Seule la bienveillance de l’enfant qui a senti le vent mauvais se lever sauve la mise en allant chercher la brouette, il y met la terre fraîche arrachée à la terre et ainsi rétablit l’ordre universel.

Jean Prod’hom