Au milieu du verger, entouré de tout jeunes arbres, un vieux pommier soutenu par des étais de fortune, chargé et fatigué comme une femme enceinte seule à midi sur la place publique.
Jean Prod’hom
Au milieu du verger, entouré de tout jeunes arbres, un vieux pommier soutenu par des étais de fortune, chargé et fatigué comme une femme enceinte seule à midi sur la place publique.
Jean Prod’hom
Il y a des jours qu’on voudrait ne pas avoir à entamer ou, puisqu’il est trop tard, hors desquels on voudrait sortir au plus vite, arriver au soir. Des jours sans bord, sans bout et sans forme, rongés par l’horloge, eau morte, des jours moites, noyés dans une haine et une chaleur lourdes et diffuses.
Alors on la passe comme une longue douleur qui va bien finir avec la venue du soir. On a beau gesticuler, aller et venir, le ciel n’est pas là, invectiver ou sourire, rien n’y fait. Aucune entreprise ne trouve son assise, les oiseaux se taisent, les nénuphars se cachent. On voit grossir les soucis nés de l’orgueil, à la presse de rien, à la presse de tout, capable seulement de vouloir en découdre avant d’en découdre, secoué par les chiffres d’oisifs calculs sans fin.
Seule la bienveillance de l’enfant qui a senti le vent mauvais se lever sauve la mise en allant chercher la brouette, il y met la terre fraîche arrachée à la terre et ainsi rétablit l’ordre universel.
Jean Prod’hom
Que peut-on faire au bord du lac?
Compter les trente-six mouettes alignées sur le môle. Manger par exemple quelques tranches de charcuterie serrées dans deux morceaux de pain, ou une pomme, ou tous les deux.
Deux femmes cherchent un lieu susceptible de leur offrir une certaine tranquillité. Je crains qu’elles ne soient déçues. Seule l’une d’elles, la petite, porte une glacière en bandoulière.
On peut s’étonner ou ne pas s’étonner des risées sur le lac, des quelques bateaux qui disparaissent. Fermer les yeux et ne pas se retourner quand on entend sur le gravier les pas se rapprocher et s’éloigner, et faire mentalement le portrait de l’inconnu sans jamais en vérifier l’exactitude.
Une petite fille est assise au pied d’un banc public sur lequel un homme lit, peut-être son père, ou son grand-père. A côté d’elle une casquette dans laquelle elle a placé un pain au lait qu’elle partage avec une amie invisible. Chacun s’agite, les abeilles, les cygnes, les canards, les corneilles, mais aussi les enfants, les promeneurs, les chiens. Ils se sont donné le mot, c’est chacun son tour. Des mouettes filent ventre à terre vers Morges.
On pourrait lire aussi ce petit texte de Robert Walser, Genève, dans lequel il se demande ce qu’on peut faire à Genève. Toutes sortes de choses.
On peut recompter les trente-six mouettes sur le môle qui sont désormais quarante. Puis aller manger une glace qu’on achèterait au kiosque situé dans le voisinage du siège du comité international olympique, pour autant qu’il soit ouvert. Tout le monde est à Berlin.
Proposer le peu d’eau qui reste au garçon qui s’est blessé avec sa trottinette, écouter ses explications ou poursuivre sa promenade et lui laisser la bouteille.
Les nuages font de l’ombre au Jura et aux Alpes, quelques-uns pourtant ne font rien, ils s’étirent du sud à l’ouest, puis rapidement disparaissent dans le bleu du ciel.
On pourrait prêter un peu plus d’attention à tout cela, au saule qui frémit, remue les bras et propose de l’ombre en dentelle à une femme rousse, cheveux raides, immobile à côté de celle qui pourrait bien être une amie chère. On n’en sait rien mais on pourrait avoir envie de le savoir. Difficile pourtant, car tout le monde se tait, ceux qui parlent comme ceux qui se baignent. Tout est en sursis, les cygnes ont disparu.
On pourrait s’attendrir, s’interroger, ou considérer que tout cela manque de consistance, se lever et rentrer à la maison.
Jean Prod’hom