Dimanche 26 juillet 2009

A la fin des journées du milieu de l’été, le soleil et les trembles déroulent sur la route des Censières filant vers le sud un long ruban passementé d’or et d’ombres aux motifs hésitants qui emballe le corps de la passante lorsqu’elle s’avance sous le ciel bleu, la plastronne, la coiffe comme une Morlaisienne, coule liquide dans son dos avant de s’immobiliser à nouveau sur la route qui fuit à l’arrière.
Et si elle interrompt sa marche pour regarder l’habit, la coiffe, la traîne qu’elle était si fière de porter il y a un instant, la promeneuse est surprise de ne voir sur le bitume, à sa gauche, qu’une ombre d’encre immobile et sans nuance, sans dentelle, la sienne, que seuls quelques cailloux blancs éclaircissent par endroits.

Jean Prod’hom

L'empreinte et l'écho

Parfois l’écriture dépasse l’intention primitive, l’outrepasse même et attire celui qui écrit dans ce qu’il pressent soudain mais qu’il n’est pas en mesure de maintenir sous sa main, qui échappe alors à son contrôle, si bien que les fils patiemment distingués à l’arrière tirent vers l’avant, les chevaux se cabrent, le cavalier saute de sa monture qui poursuit, tout s’emmêle.
On y va alors à l’estime en se fiant à la trouée qu’on aperçoit à la traîne des bêtes qui secouent la tête en disparaissant dans les bois. Sans les perdre de vue, on soigne les arrières, là où les idées s’épaulent encore solidement les unes les autres, mais à l’avant les mots se mêlent et les fils se mettent en pelote, l’arrière va partir en charpille sauf que, au dernier moment, la trouée se retourne comme une poche, raperche les fils qui se sont rétractés, les tend et garantit ainsi une inespérée cohésion à l’ensemble: quelques mots sont tombés d’on ne sait où, ils assurent la nouvelle donne qui s’organise de l’avant vers l’arrière, noue de proche en proche ce que l’on ignore encore avec ce que l’on croyait savoir.
Tout se tend et ce qui devait se terminer en couronne d’épines ou en eau de boudin maintient, on ne sait comment, dans le creux d’une boucle étrange l’empreinte des sabots d’un cheval au galop qui a pris le large avec ses semblables et l’écho d’une clameur qui ne cesse pas.

Jean Prod’hom

Le loup dans la bergerie

Que nous apprennent les livres mis bout à bout dans nos bibliothèques sinon qu’il tiennent debout ensemble, épaule contre épaule, qu’il y a presque toujours, quel que soit le principe d’organisation adopté, une place pour y glisser un nouvel arrivant. Pourtant tôt ou tard, même si l’on a pris des marges très généreuses, l’apparition d’un seul livre nous oblige à tout déplacer, à tout reprendre, à modifier l’ordre de fond en comble.
A moins que… On peut en effet modestement accueillir le nouveau venu hors tout classement, comme le dernier venu, comme celui qui n’a pas encore de place, un peu comme la Métaphysique d’Aristote, dont la préposition méta « pourrait n’être qu’une indication sur un ordre de lecture ou de classement de textes, fournie pour un érudit ancien: à lire ou à classer après les textes de physique » (Richard Bodéüs, 2002).
On peut encore le laisser là comme une pierre sur un plateau de go.
Si la succession des événements répond à un ordre imposé comme la juxtaposition des livres dans nos bibliothèques, l’imprévu survient tôt ou tard et bouleverse l’une et l’autre. Comme n’importe quel événement le fait à l’égard de l’histoire, le livre alimente nos rayons, les met en question et nous en éloigne.

Jean Prod’hom