Colonzelle

Chacune a commencé il y a plusieurs jours déjà à se déployer comme un éventail, discrètement, sans qu’on y croie trop, répondant individuellement à un appel dont on préfère en définitive ne rien savoir. Et aujourd’hui midi on ne compte plus les feuilles sans nombre du tilleul, on en rêvait et on l’accepte. Les longues pousses de l’année passée, souples et effrontées, se balancent et s’élancent rouges dans le ciel bleu curie.
La fenêtre est ouverte à l’étage, les passereaux y ont pris leur quartier pour la première fois cette année, le dedans et le dehors ont basculé l’un dans l’autre, on n’attend plus de consolation des tableaux accrochés aux murs, les draps battent des ailes aux étendages de fortune, on fleurit l’intérieur des maisons, la chaise oubliée en novembre sert à nouveau, on a laissé la clef à la porte de l’atelier, les célibataires lisent le journal sur les perrons.
Plus de dedans ni de dehors quelques mois durant, et quand le soir vient, quand les enfants dorment, on espère que le jour se prolonge encore un peu.

Jean Prod’hom

Dimanche 12 avril 2009

Les choses, toutes les choses s’enfonçaient dans le gris et l’indistinct, on en venait même à penser autour de la table qu’il n’y avait plus de saisons, on toussait, les enfants ne voulaient plus sortir, le pneu d’un des trois vélos était crevé, le pédalier du second était déboîté, et puis c’était jour férié.
Seule l’amitié et la ronde des vertus tenaient le monde debout.
On tentait bien avec une réelle bonne volonté d’admirer les pâleurs, celle des labours, celle des jachères, celle des chênaies promises, de la rivière et des terres à l’abandon. On avait beau montrer du doigt les lamentations des ceps, les piquets pourris des clôtures, quelques coquelicots au sang noir et les iris fanés sur les tables de communion, tout le monde au fond retenait son souffle, l’horizon s’était dissimulé en arrière du ciel et de la terre.
Le soleil allait revenir, on croyait le savoir, enfin on l’espérait.
Les nuages ont fui, sans rien laisser derrière eux, avant même le lever du soleil qui a triomphé encore une fois. Et le chant des oiseaux a dégrossi le jour. Et toutes les choses ce lundi-là ont retrouvé alentour leur place, leur nom et leur ombre: les iris, les pousses vert tendre du murier, les fleurs de Judée, les échelles oubliées contre les arbres, le lilas neuf, les éclats d’argent dans le lit du Lez, les feuilles du tilleul luisantes de sucre.
Les plaintes se sont tues, les pêcheurs tôt levés ont scruté du pont près de la boulangerie les eaux généreuses du canal de Testoulas, la roue tournait.
Dans l’après-midi, un homme et une femme étaient étendus dans l’herbe les yeux fermés pas loin du Lez, on entendait un peu plus loin un peu plus haut dans les bois les cris d’enfants qui reconstruisaient le monde.

Jean Prod’hom

Domino

Dans une grande ville du sud
Sur une place une grande femme un petit homme et trois enfants de taille différente
Le soleil bas dans le ciel t’empêche de les photographier
Du haut des escaliers qui conduisent à la margelle d’un puits tu les observes longtemps
Les enfants semblent manger leur glace avec une délicatesse du toucher amusante
Quand le petit homme t’aperçoit la famille s’éloigne et tu détales
La foule s’entrouvre pour te livrer passage et se referme comme un rideau sur ta grosse masse
Je tente de te suivre avec ma jumelle Zeiss
Un mouvement imprévu
Le livre en équilbre jusque-là sur mes genoux chute
J’entends derrière moi une voix amusée
Tiens Blaise Cendrars

Jean Prod’hom