XIII

Je suis assis sur le banc au crépuscule, je m’y plais; une chatte blanche vaque un peu plus loin près de la lisière, elle chasse une taupe dans le pré fauché. J’aperçois un homme qui revient du travail. Il sort de son 4×4 et hèle petite voix douce l’animal.
– Minette, minette!
Mais la minette ne lève pas les yeux, il lève alors le bras et fait le geste sans équivoque du dresseur de fauves qui sait se faire obéir. Le chat ne bronche toujours pas et poursuit sa battue. L’homme hurle, une fois, deux fois, rien n’y fait, alors il crache.
Je me lève et m’éclipse. Pas compris.

Jean Prod’hom

Encalminé

Grande ferme de Lombardie à l’heure de la sieste ou carrefour désert dans une petite ville de province, un dimanche. Dans une cour aux grandes allures me parviennent des bruits de vaisselle. Soleil au zénith.
Au fond d’une cuisine à la blancheur de lessivier, un adolescent médite, s’affaire au bord de je ne sais quoi. Il interrompt sa tâche et lève la tête, le patron est absent, il n’a guère de temps à consacrer au visiteur, ses amis l’attendent. Il reprend ses activités, il ne s’est pas éloigné du bord qu’il habite. Lisse et sans rides.
Dehors les bruits du printemps, pépiements et froissements, senteurs et poussières, le temps libre devant.

Jean Prod’hom

(FP) Avec le temps

Contraint chaque jour d’avancer, mais libre en tout temps de revenir sur ses pas, d’où l’obligation de s’y être rendu une première fois pour disposer de la liberté d’y retourner plus tard, revisiter les décharges de marbre à Sienne, errer dans les prés de Bonperrier, longer les haies de Vers-chez les-Rod, se baigner dans l’Orcia, se perdre dans les forêts de la Chapelle-des-Bois, et considérer ces lieux inconnus à nouveaux frais, comme s’ils étaient offerts à mon regard pour la première fois.
Si bien que passant le Col de Lys ou le col de Pierra Perchia je ne sais plus s’il s’agit du premier ou du second, si même j’y suis passé un jour.
Qu’importe! A tout prendre, parie sur la liberté. Parie que tu fus l’hôte de ce col une infinité de fois. (P)

Contraint le jour de notre naissance, mais libre ensuite de remonter aux origines du sentier sur lequel nous avons déjà cheminé aux premiers jours et où les choses se sont accomplies. C’est en repassant le col de Lys pour la seconde fois, en ce lieu où j’ai su la première fois que je l’avais déjà franchi, que j’ai cessé de repousser la liberté, la difficile liberté, la liberté d’accomplir l’accompli en acceptant de retourner là où je ne suis jamais allé.

Ceux qui sont venus avant moi m’ont obligé à accomplir, d’abord et à mon insu, ce que j’accomplirai lorsque mon temps sera venu, ils m’ont enseigné le partage accessoire de la liberté et de l’obligation, ils m’ont appris à composer avec ce qui a été et l’accepter, à dire l’identité du passé et de l’avenir, à distinguer l’accompli de l’inaccompli pour mieux les confondre et deviner par après la grande nouvelle qui ne peut pas se dire.

Jean Prod’hom

Aucun bruit du dehors n’arrive plus maintenant jusqu’aux jeunes gens. Il y a tout juste une branche de rosier sans feuilles qui cogne la vitre, du côté de la lande. Comme deux passagers dans un bateau à la dérive, ils sont, dans le grand vent d’hiver, deux amants enfermés avec le bonheur.
«Le feu menace de s’éteindre», dit Mlle de Galais, et elle voulut prendre une bûche dans le coffre.
Mais Meaulnes se précipita et plaça lui-même le bois dans le feu.
Puis il prit la main tendue de la jeune fille et ils restèrent là, debout l’un devant l’autre, étouffés comme par une grande nouvelle qui ne pouvait pas se dire.

Jean Prod’hom