Courage citoyen!

La tête rongée dedans par les allées et venues d’une armée de rhinovirus et dehors par le brouillard qui ne se lève pas, il n’en suffit pas plus pour que je sois amené à penser que je vais vivre quelques jours encore – dans des souffrances qui m’épargnent évidemment moins qu’un autre – avant de mourir, tout simplement. Je ne vois plus aucune autre issue, c’est irrémédiable.
La réalité indubitable de mes sensations m’apparaît avec l’évidence du rêve si bien que ma conscience, qui ne va pas au-delà du constat qu’il n’existe pas plus de raisons que mes souffrances s’interrompent que de raisons qu’elles n’aient commencé un jour – et je n’en vois aucune –, est incapable de rivaliser avec ce qu’elle aurait pu considérer comme la conclusion erronée d’un raisonnement miné par la contradiction. J’attends donc la mort. Hôte de parasites indésirables je suis réduit à n’être qu’un champ de bataille, je perds le peu de sagesse que je croyais avoir acquise, je décline et je rage.
– C’est certainement un petit refroidissement, me rassurent quelques collègues.
Ces consolations, nées de la bienveillante bienveillance de l’homme et qui auraient dû me convaincre que je n’en ai pas fini encore avec la vie, résonnent comme des condoléances et me précipitent au contraire plus loin dans le désespoir en m’avertissant que ce mal qui a envahi mon cerveau et ronge mes facultés n’est qu’une faible image des maux qui auraient pu et peuvent encore me menacer.
En désespoir de cause je m’informe. Ces rhinovirus appartiennent à la famille des picornaviridae qui sont à l’origine du rhume banal. Mais ce que j’apprends ensuite me fait trembler: ils peuvent être aussi à l’origine de la méningite. Pire! selon un professeur dont j’ignore évidemment tout mais qui s’y connaît à coup sûr, les picornavirus auraient des effets destructeurs sur les cellules de l’hippocampe, sans lequel je n’apprendrais ni ne mémoriserais rien. Mon état est donc plus grave que je ne le pensais, mon refroidissement, comme ils disent, pourrait entamer le peu de raison qui me reste, il est temps que je me batte pour que je m’en sorte. Car si on doit accepter de mourir, il n’est pas élégant de mourir n’importe comment. Je n’ai plus une minute à perdre.
Il y a quelques raisons désormais que je sorte vivant de cette épreuve.

Jean Prod’hom

IV

Nés là un matin de printemps, à côté du café ou derrière le battoir, ils arpentent d’un pas décidé, le dimanche à l’aube, les bois de fayards et de sapins. Les cloches de l’église du village leur rappellent qu’ils sont nés pour rester. Cinquième ou sixième d’une famille de huit ou neuf, ils ont pour seule tâche de laisser le pays comme on le leur a laissé. Ils ramassent alors, sans arrière-pensée, ce que ceux qui ne font que passer ont abandonné le long du chemin. Amateurs de framboises qu’ils tiennent dans leurs mains puissantes, ils passent eux aussi, leurs yeux brillent, ils ont le sourire des anges.

Jean Prod’hom

Dimanche 11 janvier 2009

Certains viennent à l’école à contre coeur, fatigués, ils n’appartiennent plus tout à fait au monde que l’institution leur propose. Grands déjà, ils ont comme abandonné l’enfance qui décidément les ennuie. Ils se savent plus à l’aise dans les affaires, des affaires de toutes espèces: coeur, argent, bons coups, ambitions, appartenance, alliance et exclusion en tête. L’école leur tombe des mains comme les livres d’enfants.
D’autres sourient, se saisissent de tout ce qui traîne, histoires, bruits, mondes, ficelles, images, livres,… quels qu’ils soient. Tout est bon, ils recyclent à tour de bras et sourient à journée faite, ils se baignent comme Porculus dans la bonne boue, si douce de l’enfance.
Et puis les autres qui hésitent à mi-chemin.
Emerveillé je l’ai été mardi passé lorsqu’une élève d’une douzaine d’années a lu aux vingt camarades qui l’entouraient un livre pour les tout petits:
Elle lit consciencieuse chacune des pages de ce récit, sa voix sourit, elle rayonne. A droite en bas, elle baisse la voix puis s’interrompt un long instant avant de poursuivre au verso, lève les yeux, nous regarde comme si nous avions gardé près de nous ce qui était autrefois en nous, retourne le livre comme un morceau de verre, pour nous faire voir les images jaunes, vertes et bleues qu’elle a goûtées peu avant et qu’elle nous offre. Ses yeux rient aux éclats de la surprise qu’elle nous fait.
A chaque double page le rituel reprend, chaque fois on entend quelques rires dans l’assistance: les rires cristallins du temps des jeux et de l’ignorance, et les rires éloignés de ceux qui savent. Elle ne dédaigne aucun d’eux, ni les fronts lisses ni les fronts creusés par la méditation, le calcul et l’esprit de sérieux.
J’aurais aimé que la lecture de ce livre se prolongeât.

Jean Prod’hom