III

Il avance déguisé mais c’est un homme droit. Il transpire la suffisance mais c’est un homme honnête. S’il ne va pas au travail il en revient, c’est un homme propre, un homme du pays, il s’appelle Jean-Rémy.
Inodore et incolore Jean-Rémy aime les haies, sa femme et les petits fruits. Il vend sans compter ce qu’il achète. Jean-Rémy a l’entrain des cendres, c’est un Suisse, un Suisse aux couleurs délavées, un Suisse obstiné, inébranlable, aussi inébranlable que la bêtise lorsqu’elle est assise sur l’horizon.
Les effets de sa fréquentation sont comparables aux effets que produit sur l’âme un voyage automobile, un interminable voyage automobile.

Jean Prod’hom

Histoire de l'art 1

A peine lisible, quelque chose comme un aphorisme calligraphié, il y a longtemps déjà, sur un mur délabré d’une maison à l’abandon: Qui n’a pas vu double n’a rien vu. Nulle explication nulle mention. Tant mieux!

A l’instant même où nous cessons d’être l’auteur de ce que nous avons écrit, où nous nous dégageons, à peine un instant, de ce que nous avons fait, à l’instant même où nous cessons d’en être le dépositaire, nous commençons à voir double: les choses enfouies naguère dans les plis de la conscience immédiate s’installent à mi-chemin de ce que nous étions et de ce que nous serons, au milieu.
Les choses dites, peintes, écrites, les choses représentées retrouvent un instant leur mystérieux quant-à-soi et le monde, à nouveau habité par des réalités qu’un autre nommera à son tour, s’élargit. Il y a place désormais pour un avenir de l’art.

Jean Prod’hom