Dans le Neguev

Il fait beau dans le désert du Neguev, le ciel est bleu, bleu sombre. Des soldats à la combinaison légère, manches retroussées, sont perchés sur le dos de leurs chars roses et puissants – ils ont la teinte des rochers du Tregor lorsque le soleil les caresse le soir. Les soldats visiblement désoeuvrés font sécher haut dans le ciel le drapeau étoilé bleu et blanc de l’état d’Israël tout juste sorti du salon-lavoir, ils sourient, voilà des hommes qui saisissent toutes les occasions de se réchauffer et qui ne vont pas au travail à contre-coeur. C’était avant-hier à la frontière de la bande de Gaza.
Mais ce matin il pleut sur Israël, et on peut observer sur la carte publiée à 0 heure 45 par l‘Israel Meteorological Service les températures prévues pour cet après-midi: il fera 16 degrés à Tel Aviv, 11 à Jérusalem, 16 à Haïfa… Quel temps fera-t-il à Gaza?
J’ai beau chercher, aucune trace de ce nom! La ville de Gaza a-t-elle disparu? La bande de Gaza a-t-elle été arrachée? Ni blessure ni cicatrice?
Le soleil insiste dans le désert du Neguev.

Jean Prod’hom

La sainte famille

Bruits
Arthur est couché, scotché au pied de l’arbre de connaissance, il s’agite. Lili danse et parle en langues. Assis je traduis. Arthur grogne, Lili se tait et je tends l’oreille.
– Que fais-tu?
– Rien!
Silence
– Papa! Lili m’embête!
– Que fait-elle?
– Elle me regarde!
– Et toi, que fais-tu?
– Rien!
Silence
– Arthur, que fais-tu?
– Je regarde Lili qui regarde quelqu’un qui ne fait rien.
– …
– …
Bruits
Je les entends alors tous deux se lever délicatement. Ils s’habillent, descendent à l’étage, se saisissent d’un babybel dans le frigidaire, prennent au passage leur bonnet et leurs gants, ils s’en vont faire du bob au Chauderonnet. A quelques pas de là, Sandra berce Louise.
L’histoire du monde a commencé.

Jean Prod’hom

Dimanche 28 décembre 2008

La vallée de Motélon est un trait noir creusé à l’acide: froid et sombre, à peine une vallée en hiver: une ferme isolée, celle des Rappes dont on ne voit s’échapper qu’un mince filet de fumée bleu-acier, quelques touristes bruyants au chalet du Chamois, une ou deux brassées de skieurs qui vont rejoindre le soleil à Bonavalette ou à Tissinniva, une femme enfin, une femme de Broc à la tignasse en bataille, noire, Son oeil anthracite brille et sourit sans concession.
C’est la tenancière de la buvette du Pralet, il est huit heures, elle y monte lancer le feu. La Brocoise y accueille en fin de semaine, depuis dix ans – elle connaît le grand ZIzi –, quelques habitués et les skieurs courageux lorsqu’ils redescendent des Merlats ou de la Dent de Broc. Ce matin le froid est tenace, il y fait moins de dix degrés sous zéro mais le soleil guigne au-dessus du col de Tsermon.
La vallée de Motélon est une gorge aveugle qui maintient à bonnes distance deux lumières, tendues. En amont celle qui brille à l’aube au-dessus du Pralet, l’autre sans bord qu’on aperçoit lorsqu’on remonte les ravins profonds qui bordent la rive droite du ruisseau, un peu avant qu’il ne se jette dans le lac de Montsalvens, et qu’on débouche sur de vastes domaines agricoles, des pâturages, à peine cambrés qui descendent en pente douce vers le lac et la Jogne.
C’est le crépuscule, la lumière caresse une couverture blanche sans ourlet, légèrement bombée, cintrée, parsemée de quelques constructions borgnes dont les chemins d’accès ont disparu sous la neige. On aperçoit pourtant blanc sur blanc des arabesques un peu folles, sorties tout droit de l’imaginaire des maîtres des lieux, ils se moquent en ces temps de fête des bornes et du cadastre. Avec les profils des roues de leurs véhicules agricoles, ils ont tracé ivres sur le tapis fragile de l’hiver des motifs de pâtissier.

Jean Prod’hom