Dimanche 28 décembre 2008

La vallée de Motélon est un trait noir creusé à l’acide: froid et sombre, à peine une vallée en hiver: une ferme isolée, celle des Rappes dont on ne voit s’échapper qu’un mince filet de fumée bleu-acier, quelques touristes bruyants au chalet du Chamois, une ou deux brassées de skieurs qui vont rejoindre le soleil à Bonavalette ou à Tissinniva, une femme enfin, une femme de Broc à la tignasse en bataille, noire, Son oeil anthracite brille et sourit sans concession.
C’est la tenancière de la buvette du Pralet, il est huit heures, elle y monte lancer le feu. La Brocoise y accueille en fin de semaine, depuis dix ans – elle connaît le grand ZIzi –, quelques habitués et les skieurs courageux lorsqu’ils redescendent des Merlats ou de la Dent de Broc. Ce matin le froid est tenace, il y fait moins de dix degrés sous zéro mais le soleil guigne au-dessus du col de Tsermon.
La vallée de Motélon est une gorge aveugle qui maintient à bonnes distance deux lumières, tendues. En amont celle qui brille à l’aube au-dessus du Pralet, l’autre sans bord qu’on aperçoit lorsqu’on remonte les ravins profonds qui bordent la rive droite du ruisseau, un peu avant qu’il ne se jette dans le lac de Montsalvens, et qu’on débouche sur de vastes domaines agricoles, des pâturages, à peine cambrés qui descendent en pente douce vers le lac et la Jogne.
C’est le crépuscule, la lumière caresse une couverture blanche sans ourlet, légèrement bombée, cintrée, parsemée de quelques constructions borgnes dont les chemins d’accès ont disparu sous la neige. On aperçoit pourtant blanc sur blanc des arabesques un peu folles, sorties tout droit de l’imaginaire des maîtres des lieux, ils se moquent en ces temps de fête des bornes et du cadastre. Avec les profils des roues de leurs véhicules agricoles, ils ont tracé ivres sur le tapis fragile de l’hiver des motifs de pâtissier.

Jean Prod’hom

La ville

A Lausanne l’autre matin, une heure de bonheur!
j’y ai vécu les vingt-cinq premières années de mon existence avant de m’en éloigner pendant les vingt-cinq qui ont suivi. Il m’aura fallu ce détour par le Haut-Jorat pour reconnaître ce miracle que constituent la naissance d’une ville, sa croissance, son opulence et le cortège de ses bienfaits.
Je crois bien que je n’étais pas retourné à Lausanne depuis cette époque, l’esprit libre et par beau temps. Je l’ai retrouvée comme elle était alors, Lausanne est coquette, Lausanne est légère, elle a la tête dans les nuages, l’allure d’une fiancée qui s’émancipe. Je n’y décèle aucune trace de la terre et de la boue sur laquelle elle est bâtie, nulle part. Pas de vert non plus, ni celui des prés qui aveugle, ni celui des sapins en deuil.
Tout y est léger, aux dimensions de notre espèce, noble gris qui respire sous le soleil, rehaussé ici et là par les traces laissées par le pied d’Iris. Et puis là-haut le ciel bleu et froid qui efface les noirceurs de l’homme.
Je remonte dans le brouillard qui ne s’est pas dissipé au Riau, mais je reviendrai goûter à Lausanne, l’esprit libre.

Racommoder hier avec aujourd’hui, puis aujourd’hui avec demain, ainsi de suite? Que de romantisme!
L’aujourd’hui a été mis à notre disposition pour abouter – précipitamment et dans l’angoisse – les morceaux du temps. Et nous disposons pour réaliser à chaque instant de notre vie ce noeud papillon de moins de temps qu’Alexandre lorsqu’il a tranché le noeud gordien.
Pour réduire le risque de cette délicate opération, il convient de faire se chevaucher le plus généreusement possible le passé et l’avenir. C’est d’ailleurs sur ce dernier point que se distinguent les fous des sages!

Jean Prod’hom

II

J’apprends que la dernière statue équestre de Franco a été déboulonnée à Santander jeudi passé. Mais qu’a-t-on fait du cheval?

Jean Prod’hom