Moille Baudin

Corcelles-le-Jorat / 9 heures

Le dernier texte d’Alfred Métraux paraît en avril 1963 dans le Courrier de l’UNESCO; il s’intitule La vie finit-elle à soixante ans? Il y évoque le sort des vieilles gens dont la durée moyenne de vie a considérablement augmenté dans les pays industrialisés. Il ne se propose pas dans cet article de donner des réponses à cette épineuse question mais de rappeler quelques-unes des attitudes observées dans les sociétés primitives.
Ainsi chez les Esquimaux, les vieux, lorsqu’ils se sentent à charge, se laissent tomber du traîneau ou demandent à l’un des leurs proches de les tuer. D’autres se font enfermer dans un iglou. Ces actes ne manquent pas toutefois de susciter des remords et ces abandons ne sont pas la règle. Chez les chasseurs-cueilleurs du paléolithique en effet, chez les Indiens des Grandes Plaines américaines ou chez les Samoa de Polynésie, les vieux ne mouraient pas de faim et on ne les laissait pas sans toit. Bien au contraire. Métraux en vient tout naturellement à penser que, dans les civilisations archaïques, le sort des vieilles gens est préférable aux nôtre: les vieux ne sont jamais inutiles, auxiliaires ou conseillers, ils recèlent des compétences  qui leur valent le respect et l’estime des membres de leur groupe. Chez les Cayapo du Brésil, les vieux siègent dans la Maison des hommes, fabriquent des flèches, mais aussi racontent aux plus jeunes leurs souvenirs. Ailleurs, on s’adresse aux anciens pour connaître leur avis dans les domaines aussi variés que les constructions et la médecine. Ce sont eux qui sont dépositaires des rites et des mythes et qui sont parfois amenés à trancher sur des questions de droit.
Et ces connaissances ne leur confèrent pas seulement un prestige, elles sont également à l’origine de richesses effectives, elles constituent une espèce de capital qui donne aux vieux un pouvoir qui amène Métraux à parler, dans certains cas, de gérontocratie. Chez les indigènes d’Australie par exemple, mais aussi en Amérique du Nord où, pour marquer sa sa déférence, on qualifie de vieillard même un jeune homme. Comme si le prestige croissait avec l’âge, à tel point que chez les Palaug de Birmanie, les femmes se font passer pour plus vieilles qu’elles ne le sont.
Alfred Métraux s’interroge en conclusion sur le prix dont l’homme occidental a payé ses progrès techniques et l’allongement de sa vie : Être respecté, se sentir un membre utile et actif de sa société, jouir de l’amitié de ses petits-enfants, n’est-ce pas là avantages qui valent plus que le confort de nos hospices ou, au mieux, des « villes pour vieillards »?

Alfred Métraux a quitté son domicile le 11 avril 1963. A la veille du jour de sa retraite de l’UNESCO. Son corps a été retrouvé près des ruines du château de la Madeleine, dans le vallée de la Chevreuse. On suppose que l’ethnologue s’est ôté la vie en absorbant des barbituriques. Il a enregistré sur un carnet, tant qu’il en eut la force et la lucidité, les étapes de son intoxication.

Jardin (Célestin Freinet LXV)

Riau Graubon / 11 heures

Il est de même, sur le plan éducatif, des enfants qui auront besoin de s’attarder longuement à telle activité manuelle, à tel travail simple, comme si le sens de ce travail avait besoin d’imprégner longuement les gestes de l’organisme, comme si ce que nous appelons la pensée – il ne faudra pas abuser de cette abstraction –, était lent à se dégager de la fonction travail. Ce qui est regrettable peut-être, mais nous n’avons pas à nous en excuser: si la pensée se dégage aussi péniblement d’une activité physique naturelle, il serait bien chimérique de vouloir faire naitre, de prétendre développer et renforcer cette pensée par des processus artificiels et contre nature, comme si le raisonnement, la mémoire, l’intelligence allaient, par leur seule vertu spécifique, réaliser quelque extraordinaire miracle.

Célestin Freinet, Oeuvres pédagogiques I,
L’Education du travail, 1949
L’enfant veut travailler comme il veut se nourrir