Pacoton (Célestin Freinet XLVI)

Ropraz / 12 heures
Il serait intéressant, je crois, de rechercher quels sont les jeux, quelles sont les activités spontanées auxquels se livrent de préférence les enfants qui ont été astreints, à l’école, à l’église, dans la famille, dans la société, à des travaux, à des attitudes qui sont contraires à leurs besoins naturels, physiques, physiologiques, psychiques, et nécessitent de ce fait une anormale tension qui exige une détente libératrice compensatrice.
Nous ne retrouverons guère là de jeux-travaux, mais toute une catégorie de jeux différents dans leur forme, leur technique, leur rythme, leur atmosphère, et que nous pourrons appeler de détente compensatrice.
Nous ferons une place à part aux jeux de détente compensatrice physiologiqued’abord: bousculades, batailles en général anarchiques, moqueries entre camarades et adultes, farces plus ou moins intelligentes, pierres lancées contre des fenêtres ou des lampes, tortures aux animaux, etc. Ces jeux sont, vous le remorquerez, à peu près tous anormalement pervers; ils sont l’exaltation de tout ce qu’il y a de plus mauvais en l’enfant. Et cela parce que le désordre a été implanté dans la vie des individus, qu’on les a cruellement comprimés, et que la détente compensatrice va nécessairement elle aussi au-delà des normes. […]
Quelle sera la réaction à la tension mentale, nerveuse et psychique? Je note seulement, en passant, qu’elle peut être à l’origine de complexes mentaux générateurs de manies, de phobies, de haines et de passions inexpliquées, et qui sont indépendants d’une détente spéciale canalisée par les jeux, et que j’appellerais la détente compensatrice psychique.
Célestin Freinet, Oeuvres pédagogiques I,

L’Education du travail, 1949
La distraction n’est nullement une nécessité

Jardin (Célestin Freinet XLV)

Riau Graubon / 16 heures

Ah! si on exigeait de moi que je ne pense, pendant des heures, qu’à l’étroit et régulier mouvement de ma faux, je serais contraint à une concentration, qui supposerait une tension nécessitant une proche détente. Je puis par contre faucher tout le jour, sans même que ce travail me paraisse monotone, à condition que ma faux coupe bien, naturellement.
Mais il m’arrive parfois d’oublier ce rythme et cette harmonie. Il est l’heure de dîner… Ma femme attend avec son plat de pommes de terre tout juste encore tièdes. Mais je m’obstine à terminer ce carré. Il y a alors concentration déplorable. Je ne vois plus qu’un but étriqué: terminer ce carré. Pendant quelques instants, plus rien n’existe autour de moi, ni le grillon que je blesse, ni le fruit que mon outil embroche, ni les nuages qui s’amoncellent derrière la montagne, ni le passant qui a pourtant hasardé une parole aimable. Mais aussi mon esprit se fatigue, mes nerfs se tendent, mon cœur s’agite, et je pousse un « ouf! » de soulagement quand la tâche est finie. J’ai besoin alors non seulement de repos, mais aussi de détente et de distraction pour chasser cette obsession, pour penser à autre chose.

Célestin Freinet, Oeuvres pédagogiques I,
L’Education du travail, 1949
La distraction n’est nullement une nécessité