Poulailler (Célestin Freinet XXXIII)

Riau Graubon / 11 heures

Travail égale souffrance et peine, condition modeste, situation avilie dont la dignité commande de sortir le plus tôt possible. Jeu, compensation de l’effort servile, rayon de lumière dans la nuit, but ultime de l’ingéniosité de ceux qui n’en voient plus que la jouissance qu’il procure…
Ma mère ne manquait certainement pas de vernis pédagogiques. Elle m’a mis de très bonne heure au travail effectif et je me rappelle aujourd’hui encore avec émotion les satisfactions profondes que j’y éprouvais. […]
De tous ces travaux, je me souviens comme d’un soleil exceptionnel qui aurait illuminé mon enfance, alors que votre école a glissé sur moi comme les gouttes de pluie sur les pierres plates et lisses de la rivière.

Célestin Freinet, Oeuvres pédagogiques I,
L’Education du travail, 1949
Une éducation du travail

Landi (Célestin Freinet XXXII)

Carrouge / 12 heures

Il vous faudra apprendre du jardinier et du fleuriste cette intégration de votre action dans l’harmonie naturelle, et surtout cette émouvante confiance en la vie, cette patience exemplaire en présence du lent processus par lequel s’élaborent la richesse du printemps et de l’été, la fécondité de l’automne, le calme apaisement de l’hiver.
C’est cette philosophie qui vous manque, surtout dans vos pratiques journalières. Vous faites une leçon à vos enfants; vous leur imposez un devoir et vous venez vérifier tout de suite, avec une myopie de bureaucrate, l’effet qui en résulte, comme ces petits citadins qui fichent en terre une bouture, l’arrosant hâtivement, et viennent voir le lendemain si les fruits ont poussé. Vous criez, vous effrayez, vous punissez, parce que votre parole, vos raisonnements, vos démonstrations n’ont pas entrainé une modification immédiate dans la pensée et dans l’action de ceux qui vous écoutent. L’ouvrier aux pièces peut mesurer minute par minute l’avancement de son travail; le maçon peut siffler en constatant que, pierre à pierre, son mur ne cesse de monter. Je sais qu’il est reposant, qu’il est encourageant d’être, comme eux, témoin à chaque instant, chaque jour, du résultat de notre effort intelligent. Nous ne sommes, ni vous ni nous, ces travailleurs aux pièces […]
Comment voulez-vous que vos leçons puissent, elles, profiter instantanément à vos enfants? Il faut bien que les éléments que vous leurs apportez soient patiemment appréhendés, dissous, lentement filtrés, incorporés à la sève, et qu’enfin celles-ci monte, enrichie. A ce moment-là, d’ailleurs, vous ne distinguerez même plus dans la croissance la part spéciale de votre intervention. Mais l’essentiel n’est-il pas que la croissance réponde à vos désirs, quels qu’en soient les auteurs anonymes?
L’école est pressée, trop pressée. Elle est, il est vrai, jalousement surveillée par des contremaîtres qui, tout comme dans l’industrie, exigent des normes de production et une certaine régularité de l’effort. C’est un peu comme un ingénieur qui voudrait mesurer au mètre sa dépense en électricité – besogne vaine. Alors à défaut de cette mesure de l’enrichissement humain, l’école va se rabattre sur la mesure de l’acquisition , comme on mesure un vase qui se remplit.

Célestin Freinet, Oeuvres pédagogiques I,
L’Education du travail, 1949
Une éducation du travail

Jardin (Célestin Freinet XXXI)

Riau Graubon / 15 heures

Le matériel, les locaux, doivent être réalisés non pas objectivement, pourrais-je dire, mais en fonction d’abord des enfants qui en seront les usagers; et non pas des enfants tels que nous les désirerions, mais tels qu’ils sont véritablement; non pas dans un milieu particulier, imaginé et organisé du dehors, mais dans le milieu normal et véritable des enfants. Les immeubles abritant les industries modernes ne sont-ils pas conçus et réalisés en fonction des machines qu’ils sont destinés à recevoir? Et le matériel lui-même n’y est-il pas essentiellement fonction – et exclusivement – du but pratique qu’on se propose?
On avait pensé que, pour les enfants, une grande salle rectangulaire ou carrée, haute de plafond, uniforme pour toute la France, pour tous les âges, avec quelques livres interchangeables aussi, était un cadre suffisant. On laissait à l’instituteur le soin de parer par son ingéniosité à la pauvreté matérielle, à l’inconfort des locaux et d’adapter tant bien que mal ses techniques aux exigences du milieu et à la détresse des outils de travail. Seules pouvaient y réussir quelques personnalités d’élite, placées dans des circonstances particulièrement favorables. Dans l’ensemble, c’était l’échec. Des techniciens vous diraient: échec prévu, matériellement certain, conséquence normale de conditions foncièrement illogiques de travail. […]
– Je vois cela: une sorte d’usine en miniature, avec travail à la chaîne, où l’individu sera happé par la machine, dominé par l’organisation, asservi et abêti… une éducation mécanicienne qui sera la mort de l’esprit!… mieux vaut encore notre anachronique éducation philosophique, toute imparfaite et désordonnée qu’elle soit…
– Vous ne m’avez pas encore compris… Vous ne me voyez pas, moi, le farouche et libre travailleur des champs, partisan pour mes enfants d’une école à la chaîne!…

Célestin Freinet, Oeuvres pédagogiques I,
L’Education du travail, 1949
Une éducation du travail