La Savignière

Crésus / 12 heures

Si j’ose après Madame Cambremer, à qui un adjectif louangeur ne suffisait pas, le faisait suivre (après un petit tiret) d’un second, puis (après un deuxième tiret) d’un troisième), si j’ose après Julien Graq se félicitant des tirets qui suspendent la constriction syntaxique, obligent la phrase à cesser un instant de tendre les rênes, après Jacques Drillon, après François Mauriac qui ne les aimait pas, après Gérard Genette se réjouissant de ce signe qu’on n’a pas obligation à refermer, qui est, contrairement à l’autre [la parenthèse], un trait d’écart ou de séparation,… si j’ose alors je me réjouis.
Je me réjouis de l’existence de ce signe qui réduit les ambitions de la phrase, son despotisme, la ramène à ce régime un peu maigre qui doit rester le sien, la creuse en ouvrant, lorsqu’il n’est pas double et que la fin approche, un autre versant, un écho – un pont et une relance.

Lac de Monsalvens

Broc / 11 heures

Nous rejoignons après déjeuner les rives du lac de Monsalvens; un barrage à voûte – le premier d’Europe – retient sous le soleil les eaux du Javro qui descendent des hauts de la Valsainte, avec celles du Rio de Motélon qui s’écoulent des flancs de Brenleire et de Folliéran, et celles de la vallée de la Jogne que remontent ceux qui parlent suisse-allemand. En contrebas de la retenue, on ne parle plus que de la Jogne qui se hâte parce que la Sarine l’attend, si bien que ses gorges resserrées nous poussent jusqu’à Broc; on y admire les vitraux d’Alexandre Cingria dans la chapelle de Notre-Dame des Marches. Un court trajet en bus ensuite, la traversée de Charmey, puis les premiers mots de François Fillon à Aubervilliers, un coup de fil enfin et une plaque de chocolat.
Je lis avant d’aller plus loin quelques pages du Postscript que Gérard Genette a ajouté à son Bardadrac, son Codicille, son Apostille et son Épilogue; il y évoque son commerce avec la ponctuation, j’y apprends son intérêt tardif pour le point-virgule, un signe qui était bien loin du registre qui était le sien: les deux points régnaient alors en maître. C’est en passant à un régime d’écriture plus narratif et descriptif que Gérard Genette tourne résolument le dos aux deux points et s’éprend du point-virgule : En bien ou en mal, une telle conversion change la vie, écrit-il.
J’ajoute que de telles pages font du bien et que la nuit peut venir.