Alors que je marchais sur le chemin qui longe le Lez

Cher Pierre,
Alors que je marchais sur le chemin qui longe le Lez, un cheval blanc a tourné la tête; je l’ai regardé comme si je le voyais pour la première fois, la nuit tombait, il m’a regardé comme s’il me regardait depuis toujours. Nous n’avions rien à nous dire, il n’a pas bougé, je me suis attardé; il m’a semblé que s’il restait immobile c’était parce qu’il avait à faire lui aussi, entrer dans la nuit, seul, comme j’aurai à le faire bientôt moi aussi. Il ne me retenait pas, bientôt a regardé ailleurs comme pour me signifier qu’il était temps que je continue.

grignan_cheval_blanc

J’ai pourtant voulu retenir cette image avant qu’il ne s’en aille, en saisissant l’ombre qu’il projetait, et un peu de cette lumière qui nous a réunis, cette manière qu’ont les vivants de prendre congé avant de s’enfoncer dans la nuit, les yeux grands ouverts; mais là où j’avais besoin d’un langage, lui s’y glissait sans à-coup. Notre rencontre aurait pu s’éterniser, mais à quoi bon; je l’ai regardé encore comme si je le voyais pour la dernière fois, puis j’ai tourné les talons et continué dans l’obscurité jusqu’à la maison.

La montagne de la Lance

Cher Pierre,

La montagne de la Lance a fait le gros dos toute la nuit et le thermomètre est descendu sous le zéro lorsque le jour puis le soleil se lèvent. J’ai déposé la Nissan au garage de l’avenue du Pont des Fontaines, le pneu arrière gauche fuit.

traverse_bascule

Le mistral fait tournoyer les dernières feuilles sur la place du Cardinal Maury; malgré les deux hauts pins, le soleil claire la façade du Rex et du Lux; il y a plus de monde au Central que devant les étals des marchands, bonnets rouges et bonnets bleus; la patronne se frotte les mains, gants de laine sur le radiateur, un thé fera l’affaire, il est 10 heures, le ciel est bleu. Les trois retraitées de la table du fond ne se sont pas vues depuis Noël: Annie a passé une semaine sous le brouillard, à Annemasse chez son fils et ses petits-fils; Rose s’inquiète de la solidité des parasols du vendeur d’olives qui battent de l’aile; Brigitte se plaint d’une araignée qui squatte depuis quelque temps son cerveau, une sale bête qu’elle tente de noyer dans un petit blanc. Les plus courageux, jeunes et vieux, retiennent leur souffle lorsqu’ils débouchent de la Rue Louis Pasteur, je redescends sur le Ring en m’engouffrant dans la traverse de la Bascule, à l’abri, avec un gâteau des rois sous le manteau. Quitte Valréas, comme un voleur.

Les «inventeurs» de la grotte Chauvet

Les «inventeurs» de la grotte Chauvet, c’est-à-dire la triplette qui a découvert dans la commune de Vallon Pont d’Arc les inestimables peintures et gravures pariétales datant de plus de 30 000 ans, fait à nouveau parler d’elle dans le Provençal du jour.

flamant_saintes_maries

Si j’ai bien suivi l’affaire, Jean-Marie Chauvet, Éliette Brunel et Christian Hillaire rêvent depuis plusieurs années déjà que les droits d’auteur sur ces œuvres qu’ils ont découvertes en 1994 leur soient octroyés, arguant qu’il s’agit d’oeuvres posthumes inédites, c’est-à-dire d’oeuvres non publiées avant eux. Ils exigent qu’on leur accorde le droit d’exploitation de ce trésor pendant vingt-cinq ans, par le fait même qu’ils en ont été les premiers publicateurs.
Les juges ont estimé que les traces d’activités humaines retrouvées – mouchages de torches et silex – datant de la période qui sépare l’exécution des oeuvres il y a 30 000 ans et l’obstruction de la grotte il y a un peu plus de 21 000 ans, sont la preuve que les réalisations de ces artistes aurignaciens – félins mammouths, rhinocéros, chevaux, bisons, bouquetins, ours, rennes, aurochs –  ont été vues, avant 1994, par un public nombreux déjà. Jean-Marie Chauvet, Éliette Brunel et Christian Hillaire ne sont donc que des tard venus.