Un séjour à Hauterive

Cher Pierre,

Merci pour ton mot. il est au diapason de ce que je vis ici. Quant à la poule et à son couteau, pareil, je n’ai jamais fait mieux. Mais j’ai une tête de mule, te renvoie le lien. Il te suffira de cliquer là-dessous, là où c’est rouge.


DéCAMERA, c’est des écrivaines et des écrivains qui racontent chaque jour une histoire de leur crû, une histoire de leur choix, depuis leur chambre, pour tenir le coup tant que la pandémie durera. Un podcast low-fi de récits reliés, en souvenir du Décaméron. Un séjour à Hauterive constitue le 34e récit de cette belle aventure.

Mais. c’est aussi un supplément à NOVEMBRE; il aurait pu prendre place au milieu du chapitre VIII. C’est le récit d’un confinement, dont le narrateur prend connaissance, sur son iPhone, en remontant le canal de Hagneck.

J’ai pensé à toi il y a quelques jours: le retour des hirondelles et, il y a quelques semaines, les jonquilles. On se sera vu sans se voir, comme la vie est curieuse. Je connais ta voix, voici la mienne.

Amitié encore, en ces temps à la fois bousculés et suspendus.
Jean

PS
Ici, c’est aussi la reverdie.

Gif-sur-Yvette | le dimanche 19 avril 2020

Cher Jean,
 

Pareil à la poule légendaire devant le couteau proverbial, je n’ai pas été fichu d’ouvrir TON envoi – on se tutoie depuis le début et on ne va pas commencer à se voussoyer. Mais j’ai pu prendre connaissance de  ton sentiment face à la crise dans ton envoi à J.-C. B. C’est, je suppose, celui de tous les hommes que nous sommes, confrontés à un événement sans exemple ni précédent et se sentant exister à proportion même de ce que leur existence est soudain et pour la première fois  menacée. Le printemps est revenu, le soleil brille depuis la mi-mars et la mort  se tient depuis lors à notre porte. L’ennemi est là, partout, invisible et non plus, comme auparavant, massé sur la frontière. De lourdes pertes humaines mais pas de destructions matérielles,  de flammes, de fumée, de fracas. A l’inverse, un monde purgé de ses bruits,  du dioxyde de carbone, les rues désertes, les trains arrêtés, plus de bagnoles, les avions cloués au sol. J’ai noté, comme tu l’as fait, l’émergence, si l’on peut dire, du silence, enrichi de chants d’oiseaux, des voix humaines qui résonnent, dans les jardins, où l’on s’active, faute de mieux, grâce au beau temps.

Nous étions pour regagner notre rustique berceau lorsque le confinement est entré en vigueur. On a tout ce qu’il faut, dans la grande banlieue, des livres, un crayon, du papier mais c’est la cervelle, aplatie par six mois de labeur roturier, qui ne suit plus. On ne sait quand ni comment la crise finira. Il faudrait un remède, un vaccin et on n’annonce rien de tel.  Si le mal se montre miséricordieux, c’est en ce qu’il semble épargner le jeune âge et montrer une évidente prédilection pour les gens du mien. Mais, comme Neruda, « j’avoue que j’ai vécu ».

La reverdie à la fenêtre du bureau et la curieuse écriture cursive dissimulée sous le carrelage mural de la station du RER, qui se déglingue.

Prudence et amitié.
Pierre