
Irène et Stéphane de Dorbon

*
C’est le journal d’un pasteur de la première moitié du XIXe siècle – rêveur, marcheur, poète, médecin, botaniste – qui m’aura souvent enchanté. Quelques-unes de ses notes sont éblouissantes. On y découvre Lausanne, Genève, Bourdeaux et ses environs, le pays valdôtain dont il vient,… ses amis aussi: Vinet à qui Muston fait la courte échelle pour qu’il soit à l’heure à l’Académie, Michelet qui lui propose un poste de professeur à Paris,…
J’aborde ici le triage des notes contenues dans mon cinquante-sixième cahier, où elles sont rangées sous des chiffres qui vont de 9030 à 9166. C’est la conversation que j’ai eue avec moi-même pendant toute une année; cela trompe l’isolement, mais ne mérite pas de survivre; ma bonne Aline seule pourra s’intéresser, et encore, à condition d’en supprimer les répétitions fastidieuses. – Pourquoi les avoir écrites? – Pour desserrer mon cœur et me distraire; si j’avais pu l’épancher dans une intimité sympathique, j’aurais bien préféré. Mais peut-être eussé-je alors perdu mon temps à être heureux.
*
Rouissage du lin près de Calais
*
Calais
*
Bonne nouvelle de Bienne!
*
À l’écriture de concevoir l’inconcevable, la vie de l’homme d’avant l’écriture.
*
Cabane de l’Escampette, en famille et en bout de baie, douanier de Saint-Michel et de Tombelaine.
*
Sur les rives de la Voiselle dans le Marais de Bourges.
*
Lettre de François Bertholet-Bridel, été 1853
… Le lendemain, jeudi, je suis parti à 5 heures pour remonter le torrent jusqu’au pont de Nant; puis je suis monté à la Varraz, où je suis arrivé au moment où les vachers faisaient rentrer les vaches. Après une halte dans un chalet, je me suis mis en route pour Anzeindaz, en passant par la Boulaire. Les gazons sont déjà bien jaunes; plus de fleurs; mais en revanche les sources sont abondantes à cause des grandes pluies. Au moment où j’arrivais sur le col qui sépare Anzeindaz de la Varraz, j’ai entendu une effroyable détonation; c’étaient des blocs qui se détachaient des Diablerets. Le ciel était obscurci par la poussière. J’ai passé deux jours à Anzeindaz, occupé à me promener le long du ruisseau à boire de ses eaux glacées et à causer avec quelques amis… »
Jean-Loup Trassard écrit ceci en 2017:
– Pensez vous réellement ouvrir un procès?
(Verdure, Le Temps qu’il fait, 2019)
– Il me semble que c’est aujourd’hui nécessaire pour la santé de notre société. Et puisque les cultivateurs se veulent modernes, il sera intéressant de leur faire connaitre une nouveauté qui nous vient des Etats-Unis, ah oui, comme le si puissant bulldozer: un procès en responsabilité collective pour le massacre d’un petit territoire à la surface de la planète. Il est possible en effet d’intenter une action en justice au nom des générations à venir.
– Espérez-vous des peines de prison?
– Bien sûr que non et même pas de dommages-intérêts, mais une condamnation morale affirmant aux yeux de tous non seulement qu’ils ont pollué l’air, la terre et l’eau, mais qu’ils continuent à le faire! Chacun d’eux devra être nommément cité et condamné!
– Si le langage de l’argent est le seul qu’ils entendent, un procès sans conséquence ne va guère les inquiéter.
– Il n’y aura pas non plus de condamnation à réparer puisque une remise en l’état de la campagne est sans doute impossible. Mais les prévenus devront au moins payé leur avocat.
– L’avocat va plaider la nécessité pour ses clients de produire un maximum en quantité à cause des prix trop bas auxquels le lait, la viande, le blé leur sont achetés, qui entraînent un danger de faillite pour leur entreprise!
– Evidemment. Et la corde sensible sera celle avec quoi certains, quand le piège s’est refermé sur eux, ont pendu leur propre vie à une poutrelle de la stabul’!
– La presse entière a fait connaître ces drames, que pourrez-vous leur opposer?
– Je partage, bien sûr, la tristesse de telles réactions individuelles mais les inviter dans l’instance pour en tirer argument serait inapproprié, elles sont dues à la marche défectueuse de l’économie agricole et l’avocat qui oserait les invoquer plaiderait à côté! Je répondrai, d’abord, que la pollution a beau être généralisée il est évident qu’elle ne remédie pas aux difficultés actuelles des éleveurs et cultivateurs, ensuite et surtout, que l’argument économique n’est pas, mais pas du tout, à la hauteur du problème soulevé!
Il est certainement regrettable que des éleveurs qui ont été mal conseillés, ou qui ont choisi de prendre un risque et qui ont perdu, soient financièrement acculés au désespoir, mais il n’en est pas moins inadmissible qu’une catégorie d’habitants de la campagne, sous prétexte qu’ils se sont endettés auprès d’une banque, se croient autorisés à supprimer de la surface de la terre toutes les plantes et les bêtes qu’ils considèrent inutiles ou nuisibles à leur propre intérêt…
-…
Je me demandais de mon côté en 2013 pourquoi les parents et les avocats dont ils s’entourent désormais ne se sont pas mis à l’ouvrage et n’ont pas déposé une plainte devant la Cour pénale internationale de La Haye contre l’école qui met trop souvent leurs enfants en danger, en les faisant inutilement et dangereusement échouer. En guise de réponse on a inventé un concept qui a bon dos, le concept de résilience.