Estavayer-le-Lac | 1928

Riau Graubon / 16 heures

Comme le plongeoir des dix à Bellerive! Dix mètres, c’est ce qui sépare en effet  le fond de la plaine de l’Orbe et le miroir de l’Aar à Soleure.
On avait, raconte un pêcheur de Chevroux, le lac au bas du village. Le lac était au café du Port et les pêcheurs avaient leur bateau au bas du jardin. Il y avait déjà un peu de roseaux au pied des rochers.

 

Je traverse le camping et la passerelle sur la Menthue, longe celle-ci jusqu’au village des pêcheurs. Les baraques se tiennent en retrait, portes et volets fermés; le bois ne craque plus, gonfle, rongé par l’humidité. Les couleurs passées, le ciel boueux et bas, la terre mêlée aux feuilles mortes macèrent, les pêcheurs sont morts.
Un peu plus loin, au bord du lac, un homme aux cheveux blancs met un peu de couleur dans ce décor sinistre, il tient une paire de jumelles et scrute l’horizon; je comprends vite qu’il compte les nombreux canards qui hivernent dans le coin. Il a les yeux bleus, transparents, des bottes hautes, il est bien vivant.

Auberge du Chêne

Pampigny / 17 heures

Reviens mon saute-ruisseau, mon chasseur-cueilleur, mon croque-lune, mon bohémien, mon trousse-bois, mon Pierrot, mon casse-lois, mon noctambule. Ou va-t-en plus loin, dit la mère à son fils qui a pris la clé des champs.

Inventaire des chalets lacustres de Portalban construits au sud du nouveau débarcadère: aucun en 1930, 2 en 1940, 7 en 1950, 12 en 1960, 40 en 1970, 45 en 1980. Même nombre en 2018.

L’acceptation de l’initiative No Billag équivaudrait à la disparition d’un référentiel, quoi qu’on pense des qualités de celui-ci, de sa cohérence, de son impartialité, de ses exigences; une disparition aux conséquences importantes, bien plus importantes pour notre équilibre mental qu’on ne le croit. Notre incapacité à donner une expression simple à cette menace, à trouver les mots de son évidence, là est peut-être la difficulté.

Cheyres

Cheyres / 15 heures

Le soleil est revenu au Riau, il disparaît à Syens, revient à Ménières. Le tenancier du bar américain de Vesin avance, recule, prétend que la maison de Vincent Jaquet a été détruite, qu’il squattait une grotte dans laquelle il vivait comme un ermite, que plus tard un paysan y a stocké des betteraves. La grotte n’existe plus. Je renonce a démêler le vrai du faux.

Pierre Huwiler me rejoint à la Rose de la Broye, le restauroute d’Estavayer où l’on s’est donné rendez-vous, avec sous le bras un double vinyle sur lequel sont gravés Les chaînes et le roseau (Huwiler-Ducarroz) et Le voleur au mille roses de (Huwiler-Ducarroz), enregistrés en public le 5 novembre 1982 à Domdidier à l’occasion des rencontres chorales de la Broye.
C’est Joseph Kaelin, son grand-père maternel qui a condamné Vincent Jaquet au terme de l’un de ses nombreux procès, il en rit. Le musicien de Rueyres-les-Prés ne chôme pas depuis sa retraite, il a composé ou harmonisé cinquante-deux chansons en 2017 et dirige deux chœurs. Il sera à Montreux le 18 mars prochain avec 5 musiciens, 100 chanteurs et Maxime Le Forestier.
Avant de se séparer, je lui offre l’ouvrage du curé de Montet sur le saute-ruisseau de Vesin, il retourne à sa voiture et me tend Ponteo, une de ses dernières réalisations. A l’origine, une chanson qui ne s’est pas faite avec Toni el Suizo.

Il est 14 heures lorsque je parque la Nissan à la rue du Vieux Port; Michel Antoniazza habite à deux pas du lac et de la Menthue. Il est né dans la ferme à côté, a fait du grec au gymnase du Belvédère, une année de lettres, plusieurs de biologie avant de revenir sur la rive sud du lac de Neuchâtel qu’il n’a pas quittée. Il note avant d’aller plus loin les informations que lui livrent deux mésanges prises dans un filet tendu dans son jardin, enfile une paire de bottes et embarque une paire de jumelles. L’homme de la Grande Cariçaie a un faible pour les canards, mais aussi pour les chardonnerets qui ont passé l’hiver dernier dans ses haies et qu’il a nourris avec des graines de tournesol. Ils ne sont pas arrêtés cette année.
Il m’emmène en-haut Les Côtes vers le lac, à nos pieds le marais né des deux corrections des eaux du Jura, les travaux qu’ils ont induits: la fauche, le boisement littoral, le désenvasement des étangs,… Michel Antoniazza ne se fait pas d’illusion, il a fait sa part, nos enfant et petits enfants continueront l’ouvrage, sauveront ce qui peut être sauvé, et peut-être feront mieux.
On marche entre Cheyres et Yvonand sur une passerelle relevée par des pilotis, la tête au-dessus des laîches et des roseaux, on aperçoit des nettes rousses, des chipeaux, des morillons; dans le ciel deux goélands qui font le bronx.
Les castors jouent au mikado à l’embouchure de la Menthue; au large, grossis soixante fois, un plongeon arctique et une harle huppée. Oh! la belle après-midi, on se quitte à cinq heures au plaisir de se revoir.