Dettes

On ne saurait vivre sans dettes, ni aller de l’avant ni revenir en arrière. Je ne me serais pas risqué non plus dans l’aventure du livre si l’hospitalité de quelques amis ne m’avaient permis, sur le net, chez eux et chez moi, de me restaurer en compagnie.
Le net aura été pour moi, pendant près de dix ans, une école et un atelier, ouverts à l’insouciance et aux quatre vents.

A tel point que je regrette certains jours la gratuité qui y régnait : dans ce territoire dont François Bon et Jérôme Denis ont esquissé un jour le contour – les Vases communicants – et dans l’auberge des 807 que Frank Garot (Lou Dark) a tenu d’une main de maître.

Chaque livre paru aura été l’occasion d’un réveil, d’une nostalgie et d’un plaisir, ceux d’avant le livre.

Je pense avec reconnaissance à Pierre Ménard, Brigitte Celerier, Loran Bart, Juliette Zara, Arnaud Maïsetti, Joachim Séné, Marianne Jaeglé, Brosseau Michel, Murièle Modély, Juliette Mézenc, Estelle Ogier, Isabelle Pariente-Butterlin, Kouki Rossi, François Bon, Virginie Gautier et Justine Neubach, qui m’ont accueilli chez eux et qui m’on fait l’amitié de déposer leurs bagages chez moi.

Je trinque aujourd’hui avec Franck Garot qui a tenu jour et nuit la boutique des 807, et salue tous ceux qui qui s’y sont succédé à la table des menteurs et des menteuses, que j’ai croisés sur le net et croise encore : Anne Savelli et Camille Philibert-Rossignol, Christine Genin et Christine Jeanney, Denis Montebello, Emmanuelle Urien, Eric Poindron, Florence Noël, François Bon, Fred Griot, Frédérique Martin, Guillaume Siaudeau, Helene Sturm, Joachim Séné, Jacques Bon, Luc-Michel Fouassier, Magali Duru, Nicolas Ancion, Philippe Annocque , Thomas Vinau, Et d’autres encore.

Chambre de Louise

Riau Graubon / 12 heures

Il pleut des cordes lorsque Sandra se lève pour conduire Louise à l’arrêt de bus. La pluie frappe les tuiles et les velux avec une telle conviction que ces derniers semblent ouverts et ma terre nue. Je lis la fin du Seelig :
Le 28 décembre 1944 ;
Ralentissons, voulez-vous ? Ne courons pas après la beauté. Qu’elle nous accompagne plutôt, comme une mère qui marche à côté de ces enfants.
Le 23 janvier 1949 :
À l’une des fenêtres du cloître, devant lequel nous sommes plantés, le visage immobile d’un jeune ecclésiastique ; commentaire de Robert : « Il a envie de sortir, nous d’entrer. »
Noël 1952 :
En fait de château, Robert déclare qu’il y en a deux sur le territoire de la commune. L’un d’eux se trouve à proximité immédiate de l’hospice. L’un et l’autre ont été restaurés, ce qui lui paraît de fort mauvais goût : « Voilà encore un témoignage de l’indigence de notre époque. Pourquoi ne pas laisser se détériorer et sombrer les choses du passé ? Les ruines ne sont-elles pas plus belles que ces bâtisses rapetassées ?
Le 44 juillet 1944 enfin :
Ensuite nous allons nous baigner à la piscine où nous sommes les seuls clients. Robert grimpe sur le grand plongeoir, exhibe un instant, là-haut, ses cuisses de sauterelle puis redescend et déclare : « Ne soyons pas trop hardis ! Sans doute vaut-il mieux que je renonce à cette sorte d’exercice. Autrefois, il m’arrivait souvent d’aller nager, de jour comme de nuit, dans des endroits solitaires, surtout à Wädenswil et à Bienne. Mais à présent, je ne me baigne plus que très rarement. Même en matière d’hygiène, on a tôt fait d’exagérer.

Je descends à la cuisine, découvre le campement de Lili et ses copines au salon, fais du feu dans le poêle. Sandra nous quitte, elle va marcher avec Suzanne du côté d’Echallens, je vais récupérer Arthur à midi à l’arrêt de bus. Rangement à la bibliothèque ; Jodie m’a offert un tesson qu’elle a trouvé et ramené du Japon, de Yunotsucho plus précisément, à l’ouest de la pointe méridionale de la Corée. Je l’ai revue hier soir autour d’une pizza avec onze des seize élèves de l’année passée, souriants, aimables, pleins d’appétit, grandis. Et le tesson japonais va rejoindre le tesson péruvien dont Pascal m’a fait cadeau l’autre jour.

La pluie s’est arrêtée mais pas la noria : je dépose May et Lili à Forel après un crochet par Moille-Margot où habite Méline. Le ciel est bas, le vent d’ouest pousse les nuages qui roulent sur les pentes du Mont-Pélerin et du Niremont, s’accrochent aux mélèzes et aux sapins ; l’ourlet lâche par endroit et on aperçoit la neige tombée cette nuit. Pause technique à La Croix Blanche de Servion où je poursuis, devant une verveine, la lecture de La Fuite de Tolstoï (Alberto Cavallari) commencée tout à l’heure dans un bain bouillant. Je conduis Arthur à l’arrêt de bus à 16 heures 30, sous une averse de grêle qui produit un fracas de verre pilé, avec soudain une éclaircie à l’est, du blanc, du bleu et des passementeries d’or, comme un ciel hollandais. Je termine La Fuite de Tolstoï qui corrige l’idée que je me faisais de la fin de Tolstoï, étendu sur le banc d’une gare secondaire, seul, avec de  faibles lumières, la lampe de signalisation suspendue à l’entrée, les derniers voyageurs dans l’attente des derniers trains, le télégraphe qui transmet puis se tait, une cloche qui retentit dans le silence, la famille du chef de gare qui dîne au premier étage, et tout autour l’obscurité, la neige, le paysage effacé.
Je repars à 17 heures récupérer Lili et May, se sera au tour ensuite de Louise, puis de Sandra et Suzanne avec lesquelles nous irons, Jeremy et moi, manger ce soir à Villars-Mendraz.