Enfoncé dans sa cagoule et son bonnet, les yeux fuyants, il a l’allure et la voix sans fond du possédé. Il est seul et glisse sur les pentes du Gros Niremont à Rathvel, de haut en bas et de bas en haut, la raison s’égare à moins. Tiré par l’une des barres d’un T, il ne semble pas à mes côtés, comme s’il avait laissé la plus grande partie de lui-même à la Verrerie où il vit et le solde à La Tour-de-Peilz où il exerce le métier de serrurier. Je me sens tout petit à ses côtés, presque rien: un presque rien à côté d’un absent.
Il me parle alors de ce lieu où il est né il y a une quarantaine d’années et qu’il n’a pas quitté: La Verrerie issue, m’apprend-il, de la fusion de Grattavache, du Crêt et de Progens. Ces noms sacrés qu’ils prononcent réveillent le possédé qui sort de lui-même. Il ne s’arrête plus et, par cercles concentriques, étend sa domination sur le monde. Il égrène les neuf communes du district de la Veveyse et celles qui ont disparu au coeur de la fusion : Attalens, Semsales, Bossonnens, Châtel-Saint-Denis, Granges, La Verrerie – Le Crêt, Grattavache, Progens –, Le Flon – Bouloz, Pont, et Porsel –, Remaufens, Saint-Martin – Besencens, Fiaugères. Le poème terminé il se tait. Quelques mètres encore avant le carrousel des T et on se quitte.
Ces noms font rêver: Besencens, Fiaugères, Grattavache… et la Verrerie, qui abrite un possédé. En moins de huit minutes, ce possédé aura fait d’un presque rien un connaisseur et un inconditionnel de l’un des sept districts du Canton de Fribourg. J’irai visiter la Verrerie.
Jean Prod’hom