Dimanche 14 juin 2009

C’est qu’il faut tout reprendre à chaque fois depuis le début, s’extraire de la maison et de la partie qui nous ont tant appris et sans lesquelles nous ne saurions vivre. Nous heurter aux murs, au toit et au sol qui nous enclosent, en sursis. Déjouer les leurres et les pièges, abandonner aussi quelque chose comme la paix à laquelle songent le soir ceux qui ont bien combattu. Mais cette maison pèse, elle abrite un manque que nous nous étions promis de combler un jour, plus tard – ainsi naît l’histoire. Et nous avons oublié cette promesse, et nous avons relégué le manque qui raie nos vies. Celui qui jette un coup d’oeil pas la fenêtre l’aperçoit pourtant, éveillé, alangui, patient.

Je connais quelques sections de l’itinéraire qui conduit à l’air libre, quelques raccourcis même, je sais les temps qui conviennent – la nuit après avoir payé notre dû à la grande affaire – et je me fais la belle, franchis le mur d’enceinte, les mains ouvertes, avec pour seuls bagages quelques laissés-pour-compte, une ou deux pièces orphelines du grand puzzle.

Me retrouver à l’air libre, ébrécher la mandorle dans laquelle le saint s’est retrouvé forclos et solitaire, écarter les rideaux et laisser la lumière chasser la pénombre de nos raisons, écouter les voix qui s’attachent à dire ensemble le mystère sur lequel reposent nos vies.
J’écoute d’abord la voix qui dit non et m’oblige à redoubler d’efforts, je tends l’oreille, c’est l’autre voix, la tienne, j’en distingue la source, là-bas, elle ne dit rien, à peine une voix, à l’autre bout du terrain vague.

Me voici à l’air libre et je distingue les mots de quelqu’un qui veille. C’est avec lui, fort et contrefort, que nous avons édifié autrefois des palais, on s’en souvient, toi dans ma langue et moi dans la tienne. Aujourd’hui c’est un terrain vague, je ne regrette pas nos cathédrales.

Ces mots que je ne comprends pas amènent l’air qui me manque, ils m’aident à agencer les miens. Je rêve d’un poème en bordure du désert au-delà duquel j’entendrais les éléments d’une langue que je ne comprendrais pas mais qui détiendrait le secret du manque qui habite toute chose et d’où est né le monde.

Les cloches qui annoncent la tempête se font entendre côté jardin, je ferme les yeux, elles s’éloignent côté cour. La tempête a passé.
Que s’est-il passé? Une éclipse? Un instant qui s’allonge dans le sursis d’une écriture à plusieurs voix. Les voix se rapprochent et s’éloignent, elles dansent l’une avec l’autre sans jamais se confondre, jamais à la même place, deux voix dans la nuit de chaque côté d’une scène sur laquelle se lève le jour.

Des loups repus tournent autour d’une proie absente, comme des éphémères dans la nuit au solstice d’été. Et on passe, chacun à sa manière, tout près de ce qu’on désigne ainsi, sans espérer pourtant jamais parvenir à faire autre chose que l’effleurer.

Jean Prod’hom