Sans famille

Sous ta douceur couve une rage mise en veille. Et ce qui t’a été dérobé, ceux à qui on t’a arraché, ce dont il a fallu te détacher laisse un manque que tu ne combleras pas. Et pour peu qu’aucun tiers n’ait pris soin de ménager à ton intention un lieu pour calibrer ce manque – urne, tombeau ou mémoire –, tu ne t’y feras pas. Et tu seras de partout et de nulle part, ange et démon.
Il n’y a pas de place pour toi, pas de place pour moi, il n’y a jamais eu de place pour personne, sinon dans les terrains vagues de ta mémoire d’orphelin et dans le récit incomplet des successions auquel je suis enchaîné. A toi les oasis, l’étendue de la paix, la rage sans fond. A moi la descente des rivières, l’île mystérieuse, les obligations de la liberté.

Jean Prod’hom