Naples

Pas sûr que le soleil qui baigne Sorrente, la côte amalfitaine et le littoral jusqu’à Naples soit le même soleil que celui qui baigne le Riau. On y vit autrement, l’austérité est d’une autre nature que celle qui règne sur les côtes de la Baltique.
On va ce matin, en versant notre écot, contribuer à l’exploitation culturelle de masse. On est scandalisé, aujourd’hui encore, par le trafic des indulgences organisé avec la bénédiction de Léon X pour la construction de la nouvelle basilique Saint-Pierre, on a su pourtant développer ce commerce pour écourter – ou prolonger c’est selon – nos heures de purgatoire : Castel Sant’Elmo, Certosa di Saint-Martino, Museo archeologico nazionale. Seigneur ! aidez-nous a sortir du four.

Chemin faisant des merveilles : le grand cloître de la Certosa di Saint-Martino, si peu italienne, lumineuse et tragique, abandonnée par les Chartreux, la mort y a trouvé refuge. A l’ouest de l’ancien monastère, sous nos pieds, les toits de Parthénope, dalles et tôles, gouache et pastel, pointe sèche, eau forte, une tapisserie aux coutures étroites, ruelles et escaliers du quartier espagnol, incisions des decumani dans le lit desquels coule sans dicontinuer la gentillesse des Napolitains.

Court passage au Museo archeologico nazionale dont la façade est en chantier. Des merveilles encore, on s’arrêtera devant les sculptures du rez et de la maison des Papiri qu’Ingrid Bergman découvre dans le Viaggio in Italia de Rossellini. Je fais quelques photos de ces hommes et de ces femmes de pierre que le sculpteur a animés, à peine un souffle qui réveille le vivant qui croise leur regard. Je peine à photographier ces visages de pierre qu grimacent dans l’appareil, le photographie est trop souvent un croquemort et la photographie une mise en bière.

Spaccanapoli : fureur et ferveur dans un temps mélangé, colonnes du temple des Dioscures qui soutiennent l’église Saint-Paul-Majeur, crèches et autels portatifs, ruines et restaurations, Maradona et Saint-Janvier. Sur la Piazza del Gesù, les membres du parti radical de Marco Panella collectent des signatures depuis ce matin. Ils se battent pour que le Parlement adopte la loi N.2641 pour la dépénalisation de la culture domestique des plantes desquelles peuvent être extraites des substances stupefacenti o psicotrope.

On traverse un ghetto où le temps s’est réfugié, ce sont les quartiers espagnols, des enfants, des vieux et des femmes dans la rue ou aux balcons. Les hommes ne sont pas loin, à l’arrière des boutiques obscures ou des sous-sols, sages artisans, menuisiers ou vitriers, garagistes, aubergistes, encadreurs, brocanteurs, ébénistes. Avec eux des femmes et des vieux, des cris et des enfants qui travaillent dur.
Jean-Claude dort. Sur la terrasse de notre bungalow de Piana di Sorrento j’écris ces notes, songe à cette épiphanie qui tarde encore à trouver sa forme, l’éternel retour du même, cette épreuve qui laisse passer l’éternité par la porte entrouverte et maintient à l’extérieur les arrière-mondes. Acceptation sans condition. Da capo.
Nous reviendrons à Naples.

Jean Prod’hom