Fragment de stèle funéraire, calcaire, Nouvel Empire, XVIII-XIXe dynastie
Belle confusion je le concède ! d’autant que je l’entretiens depuis plusieurs décennies. C’est hier seulement que j’en ai réellement pris conscience, alors que je descendais au sous-sol du MUDAC, dans la cave sombre qui abrite quelques merveilles de la Collection Jacques-Édouard Berger dont ce musée a la charge et où je me rends parfois.
Jacques-Édouard ou François-Xavier ? Jacques-François ou Édouard-Xavier ? Jacques-Xavier ou Édouard-François ? Ma confusion trouve son origine là, dans ce couple de prénoms doubles un peu vieille France. N’ai connu ni l’un ni l’autre, mes informations à leur sujet ont toujours été partielles puis se sont brouillées. Qu’ont-ils chacun fait exactement ? Quelle fut leur vie ? Et leur mort ? Et d’ailleurs qui est qui ? Je n’y puis rien, impossible de tirer de ce méli-mélo deux corps, deux vies bien distinctes, deux destins. En cause donc leurs prénoms, mais d’autres éléments contribuent à mon désarroi. Je suis aujourd’hui incapable de suivre la piste de chacun, ils oeuvrent ensemble dans mon esprit ; je voudrais défaire l’écheveau, ne pas continuer à tourner dans ces eaux, les séparer, trouver un point d’appui.
Leurs prénoms ne font qu’un mais je dispose de deux visages, celui de Jacques-Édouard ou François-Xavier et celui de François-Xavier ou Jacques-Édouard, je ne peux m’empêcher de les imaginer chacun avec les traits de l’autre, blonds tous les deux. Ils ont eu une vie active jusqu’à leur mort prématurée, Jacques-Édouard ou François-Xavier alors qu’il avait 48 ans, François-Xavier ou Jacques-Édouard plus jeune encore, dans la fleur de l’âge.
Le premier était historien de l’art, comme son père René Berger. Le second était pilote d’hélicoptère, comme son père Bruno Bagnoud. C’est le fils qui était aux commandes de l’appareil lorsque celui-ci s’est écrasé au Mali en marge du Paris-Dakar, j’ignore ce que François-Xavier, ou Jacques-Édouard, faisait exactement dans le ciel bleu d’Afrique. Les circonstances malheureuses de cette mort, je ne puis m’empêcher de les reproduire dans l’image que je me fais de celle de l’historien de l’art, Jacques-Édouard ou François-Xavier, si bien que je l’imagine dans un hélicoptère au-dessus de la Vallée des rois, s’écrasant sur cette terre d’Egypte dont il était un spécialiste enthousiaste.
En souvenir de leur bref passage sur terre, et pour que leur mort serve à quelque chose, deux associations voient le jour, je m’en souviens maintenant, la Fondation Jacques-Édouard, ou François-Xavier Berger, et l’Association François-Xavier, ou Jacques-Édouard Bagnoud.
Cette confusion serait impardonnable si d’autres figures ne venaient pas continument nourrir mon désarroi. Principal responsable : Michel Berger, pianiste, auteur-compositeur-interprète, directeur artistique et arrangeur musical. Il n’est pas comme on pourrait le supposer un parent proche ou lointain des historiens de l’art, mais l’indéfectible ami de Daniel Balavoine, l’auteur-compositeur-interprète français mort à 34 ans dans l’hélicoptère que pilotait le fils Bagnoud. Comme si ce Berger ne suffisait pas pour semer la zizanie, un second pointe son nez, Yves, un Berger écrivain que je ne connais que de nom, mais un trait-d’union essentiel qui introduit dans la danse un autre Yves, pas un Berger mais un Simon, Yves Simon, chanteur de variétés et écrivain passionné de Salvadore Adamo, de Michel Berger et de Daniel Balavoine. J’aurais pu souhaiter que tout s’arrête là, mais c’était sans compter qu’un Simon peut en cacher un autre : Claude, Claude Simon qui de façon surprenante n’a guère eu à faire avec Michel, Daniel, Adamo, France et les Bagnoud, mais qui a croisé René Berger dans les Cahiers internationaux du symbolisme en 1981…
Cette enquête est sans fin, je croyais pouvoir dissiper ma confusion, mais rien n’y fait. Je me retrouve sur la place de la Cathédrale avec une série de questions dont je ne vois pas le bout. Qui donc s’est écrasé dans ce satané hélicoptère au-dessus du plateau de Gizeh ? Jacques-Édouard ou François-Xavier ? Accompagné de qui ? Yves, le fils de Claude ? Jacques-Édouard connaissait-il Yves ? Quel Yves ? Simon ou Berger ? Quel Simon ? Claude ou Yves ? Daniel ou Balavoine ? France ou Gall ? Berger ou Bagnoud ? Quant à René Berger et Claude Simon, que nous cachent-ils ?
Jean Prod’hom