Quand je dis vouloir éclairer l'obscurité

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Cher Pierre,
Quand je dis vouloir éclairer l’obscurité, ou la nuit, ce n’est évidemment pas dans l’intention de la faire reculer, de la séparer d’elle-même ou de l’apprivoiser ; ni de repousser, comme on dit, les limites de mon ignorance, mais de faire voir ce dont le jour et la connaissance lui sont redevables, en saisir la matité et le lissé, les yeux fermés, les pleins, les vides, une voix ; disposer d’un lieu aussi, sans partage, sans nuage ; entier, sans bord et sans cadastre. J’ai quelquefois le sentiment, écrivant, d’en être entouré, de m’y ébrouer et de m’y frotter.

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Cinq périodes à la suite qui me laissent presque intact, je file donc à la gare d’Echallens prendre les billets collectifs pour la semaine prochaine. Rentre ensuite par Poliez-le-Grand, Poliez-Pittet et Peney pour guigner un coin de morilles où j’allais autrefois, au bas de la route des Chênes : deux voitures sont stationnées, trois inconnus vont et viennent le long de la haie viive ; je continue mon chemin.
S’impose à moi chaque jour davantage l’idée que trop de vivants se sont donné le mot pour n’avoir à choisir qu’entre deux manières d’être : grogner ou se divertir. Autant d’attitudes qui ne font qu’entériner la situation sans issue dans laquelle nous nous trouvons. J’exagère certainement, mais c’est la raison pour laquelle je m’éloigne toujours plus loin des geignards et des amuseurs publics, qui reconduisent à leur insu les convenances, c’est-à-dire fournissent de nouvelles raisons à ceux qui en manqueraient encore, de se plaindre de ce qui est, ou de s’en détourner.
Dominique m’écrit de gentilles choses sur Tessons et me propose d’ajouter quelques mots à ceux qu’elle a écrits sur les arrosoirs. Je ne sais pas encore très bien à quoi ressemblera son livre, mais sa demande m’honore et j’accepte.
Une sourde fatigue s’installe, dans la tête et dans le corps, trop pour que je m’assoupisse ; monte au triage – m’y suis abstenu depuis dimanche –, m’approche à petits pas, fais quelques photos, plus près, l’oiseau file. Je vais m’asseoir sur une souche à une quinzaine de mètres du nid. Et ce que j’attendais depuis le début arrive, les deux bouvreuils sont perchés haut dans les branches d’un jeune foyard dont les feuilles sortent à peine de leur étui, restent là quelques minutes, jouent à clicli-mouchette. Je me mets à siffler : ils s’habituent peut-être à moi. La femelle m’interrompt et rejoint en quelques coups d’aile les cinq oeufs qui l’attendent.

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Dans le deuxième des dix-sept volumes du Dictionnaire classique d’histoire naturelle que Jean-Baptiste Bory de Saint-Vincent a publié aux côtés d’Etienne Geoffroy Saint-Hilaire en 1822, je lis en rentrant ceci.

Ces Oiseaux se font chérir, non seulement par les agréments de leur plumage, mais par une sorte de sociabilité et de confiance dans l’approche de l’Homme. Pendant l’hiver, on les voit dans les campagnes, répandus sur les routes, autour des habitations, y chercher les petites graines que la nature semble leur avoir réservées à dessin sur les tiges flétries et desséchées, et c’est avec beaucoup de grâce et de vivacité qu’ils emploient leur instrument nourricier à briser l’enveloppe cornée ou ligneuse qui recouvre et cache l’amande salutaire. Au retour de la belle saison, ils se retirent dans les bois pour s’y adonner entièrement à l’amour ; le nid qu’ils construisent dans les buissons, consiste en un peu de duvet qu’entoure un tissu de mousse et de lichen, qui prend son point d’attache entre la bifurcation d’une branche : la ponte est de quatre à six oeufs. Les Bouvreuils, dont le chant n’a rien de bien agréable, sont cependant susceptibles éducation ; avec des soins peu extraordinaires on parvient à leur faire imiter le ramage de divers Oiseaux dont on admire la flexibilité de gosier. Ils rendent même les inflexions de la voix humaine au point que l’on y reconnaît des mots bien articulés.

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Toute cette histoire me fait rêver – sans compter les points-virgules qui ont le don de me réjouir –, je vais essayer de leur parler, dès la semaine prochaine. D’ici là on mange en coup de vent les fromages et les salades que Sandra a préparées ; il est 18 heures 30, on descend à Ropraz ; on y reste jusqu’à un peu plus de 21 heures. Arthur se propose, alors que la nuit tombe sur l’herbe nouvelle et les champs de colza, de redescendre demain pour terminer la zone que René lui a confiée et que Jean-Daniel l’aide à réaliser. Je l’accompagnerai.

Jean Prod’hom