Première et dernière fois

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Cher Pierre,
Ces heures de sommeil où il n’y eut, deux jours et deux nuits durant, ni jour ni nuit – mal de chien et convalescence – m’ont fait du bien. Je n’ai pas failli à ma tâche une seule heure, depuis bientôt 30 ans ; suis allé à la mine gueule droite ou de travers, d’orgueil parfois. De rester à la maison, hier et avant-hier, de me le permettre, m’aura remis plus vite debout.

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D’autant que je trouve dans mon casier un formulaire, celui de mes voeux d’enseignement pour l’année scolaire 2016-2017 à compléter d’ici fin janvier, pour la dernière fois. C’est la première fois que j’use d’une expression pareille, ce n’est pas la dernière.
Le Moyen Pays – qui est aussi le pays de la Venoge –,  que j’aperçois du second étage du collège, est gros d’un brouillard laiteux qui se dissipe à 9 heures. Une élève présente à ses camarades le caméléon, une seconde ce qu’elle a appris de la Cosa nostra sicilienne, une troisième lit à haute voix le 11ème chapitre de La Vallée de la Jeunesse. Longue halte à la salle des maîtres. Le brouillard se réinstalle à 14 heures si bien que je renonce à faire un saut dans les friches de Grancy.
Je m’arrête à C au retour, m’entretiens avec l’infirmier responsable que j’ai déjà croisé. Je retrouve finalement T à l’étage qui est allé faire un tour. Comme convenu je lui lis une nouvelle, la deuxième du recueil d’Il colombre de Dino Buzatti : La Création. Il me raconte en contrepoint l’histoire, connue me dit-il, de ce roitelet oriental bien décidé qu’on le rassure, après avoir décimé tous ses contradicteurs : Qui de Dieu ou de lui-même est le plus grand ? Le roitelet convoque les sages ; tous gardent le silence, inquiets pour leur tête ; un seul, sage parmi les sages, se risque enfin : c’est bien le roitelet qui est le plus grand, lui seul est capable d’exclure qui que ce soit, quoi que ce soit hors des limites de son royaume ; Dieu non, son royaume est sans borne.
Je m’arrête au retour en face de Ferlens ; toujours pas de chardonneret, mais un pic épeiche et, qui vient le rejoindre à la cime d’un vieux chêne gainé de lierre, une grive draine. Je décrotte mes chaussures à la fontaine du refuge de la Détente, bois une verveine à l’auberge de Mézières.
Au Riau, tout le monde est sur pied, Arthur est en vacances, Louise aura résisté. Je repars pour Oron ramasser Lili et Valentine qui mange et dort à la maison ; elles parlent chiffons avant de s’endormir, car à Mézières, demain, c’est tout à la fois le dernier jour de l’année et celui de l’élégance.

Jean Prod’hom

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