Solidarité

La vieille avait d’abord travaillé à l’établissement parmi les hommes d’une solidarité comparable à celle qui unit les eaux du ruisseau, à celle qui lie le corps et son ombre, tient à juste distance les deux ornières du chemin, à celle qui rassemble les arbres de la forêt.

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Elle rêvait à la fin, plus modestement, d’une solidarité fragile et mobile, à l’image de ses propres égarements. Et plutôt que de lui donner corps en repoussant sans répit, en excluant, en exécutant tous ceux qui, par leur sacrifice, assuraient en retour son appartenance à tel groupe, à tel salon, à telle coterie, comme s’il était possible de se débarrasser ainsi de la mort, elle avait préféré faire une place à celle-ci, l’inclure dans ses manières de faire, de dire, d’aller et de venir, réjouie de croiser chaque jour ceux qui tremblaient un peu d’être en vie et qui souhaitaient la prolonger dans une espèce de solitude partagée, parce que, disait-elle, ils étaient capables encore de s’en étonner, riches du secret que la vie ne leur livrerait pas, qu’ils se plaisaient à relancer au-delà de l’horizon et qu’ils ne dédaigneraient pas de rejoindre le moment venu.