Après le solstice

Lorsqu’on eut terminé
les grands aménagements
on attribua
à chacune des saisons
ce qui restait
le partage de la double équinoxe
l’éclosion des quartiers de la lune
les éphémères
les jours surnuméraires

on remplaça encore
le ruban
rouge sang
qui séparait le jour et la nuit
par une bande de dentelle
aux multiples valeurs de gris
que les passementiers
exécutèrent l’hiver qui suivit

on répondit
aux dernières questions
quand célébrer
les héros de l’île
où dresser la statue du héron
quand faire pivoter l’an

à l’évidence
l’administration d’un tel réseau
de difficultés superposées
à la multiplicité des noeuds
que leurs prédécesseurs
n’avaient pas tranchés
donna une valeur
toute particulière
centrale et militaire
au volontariat

on boucla enfin les comptes
aucun recensement
cette année-là
une estimation seulement
cent vingt foyers
autour du grand palais
pas même une maison des jeunes
aucun autre atout

Jean Prod’hom

Dimanche 23 mai 2010

Le frelon s’agite en tous sens, mais il suffit de lever une paupière pour se rendre compte qu’il ne réfléchit pas beaucoup. Visiblement il attend un coup de main, on ouvre tout grand la fenêtre, trop difficile encore, il faudra patienter une bonne demi-heure avant qu’il ne trouve enfin la sortie, il vrombit alors une dernière fois et disparaît en creusant un boyau ouaté dans lequel les pépiements des moineaux profitent de s’engouffrer, en sens inverse, jusqu’à nous. A l’arrière se détachent, lointains, déteints, les neufs coups du battant de la cloche de l’église qui teinte dans le désert. Et puis, venu de plus loin encore, le silence qui rejoint le soleil sous le toit, il adoucit et rafraîchit le drap dans lequel on se vautre comme des rois.

Elle l’observait sûrement depuis un moment; il y a dans les yeux de quelqu’un qui a eu le temps de vous examiner toute une image de vous, retirée, hors de portée, et pourtant bien présente.

Henri Thomas, John Perkins, Gallimard, 1960


Derrière la maison la bise fait onduler la prairie, lourde et grasse, nourrie au grain. Les années du marais de la Montagne du Château sont comptées, la terre a gagné la partie. Demeure pourtant tout à l’est une large étendue d’eau secrète où vivent et dorment trois colverts. Les petites habitudes auraient-elles laissé la place à l’habitude tout court?

Jean Prod’hom

La menace

Rester en rade alors que le monde appareille, sans que rien pourtant ne s’éloigne vraiment – sinon le souvenir d’images qui s’entassent en arrière de la tête – , sans que l’on recule non plus. Ne rien avoir à dire à ce propos, ou un mot, à peine un mot qui resterait au travers de la gorge, et qui dirait tout, d’un coup. Mais ne le dire que plus tard, peut-être, lorsque la menace se sera éloignée ou qu’elle aura trouvé en nous la place qui lui revient, avec ce mot qu’on cherche et qu’on ne trouve pas, parce que ce mot est un mot de notre langue. On est là, et on ne sait pas par quel bout commencer, parce qu’il n’y en a pas de bout, que tout est demeuré en l’état. Tout ça bien sûr devait arriver, on le sait, et on se retrouve enfin dans l’impossibilité de différer plus avant cette menace, grosse d’avoir été écartée. Et de la différer encore un peu pour qu’elle puisse continuer sa tâche, nous accompagner lorsqu’on s’attellera à la nôtre, qu’on sait au-dessus de nos forces, tout reprendre, comme un livre dont aurait commencé la lecture il y a des années, et qu’on reprendrait en raison d’une ou deux phrases sur lesquelles on aurait buté et qui nous aurait obligés à aller de ce pas.

Ce qui semble nous maintenir à l’écart, mais qui nous accueille aujourd’hui encore quand bien même on se trouve dans l’impossibilité d’y entrer, sur le seuil de quoi on se dresse comme un pantin, un étranger, un malotru, n’a pas changé, c’est bien le monde dont on vient et dans lequel on a cru pouvoir demeurer, un monde reconnaissable à la traîne qu’il laisse, à quelques souvenirs qui courent devant, à la mélodie qui s’est tue et qui accompagnait notre réveil. Méconnaissable pourtant, non pas qu’il soit défiguré, ou en lambeaux, mais à cause des couleurs passées, qui maintiennent à distance les noms dont l’affublaient les récits qu’on se racontait pour lui assurer par des couleurs vives sa consistance. Les choses ont repris ce qui leur revenait, inquiètes. Le doigt sur les lèvres, elles demandent un peu de silence. Désormais restent dans ma gorge des mots orphelins, durs, sourds, décollés de ce qui les animait et de ce qu’ils faisaient vivre, pierres dans un tonneau, squelette dans un habit trop large. Les mots ce matin font bande à part.

Jean Prod’hom