Concentrations

Un bouquet de fleurs
en lieu et place
d’un tas de pierres
un tas de bois
des formules rituelles
pour remplacer les cris
le souvenir de l’ibis
une île autrefois sacrée
une terre fertile
un marais au milieu

le portrait
à demi renversé
des aigrettes
en colère
parlant la langue
des canards
et tout autour
l’infranchissable
le ronflement des rancunes
les collets montés

une seule fois
ils se sont baignés
tous plongèrent
après une interminable cérémonie
au lieu où se concentrent
l’être et la concordance des règnes

rien n’y fit
les prairies gorgées d’eau
ne surent rivaliser jamais
avec l’indigence des hommes
battant le pavé
ni les plaintes du vent
ni les aulnes ni les charmes
ni les nuages
ni les parades et les ornements aquatiques
pas même les princes et leur chasse-mouches

les insulaires ne parvinrent
à dégager
aucun des grands axes
qu’il eût fallu
pour que le ciel daignât
leur délivrer
une ou deux éclaircies

Jean Prod’hom

Dimanche 2 mai 2010

Il n’a pas de vie intérieure. Où en a-t-Il pris conscience? Il ne s’en souvient plus. Il sait seulement qu’il était debout et au vent.
Jusqu’à ce jour elle le tenait en respect, immobile et pathétique, dans un silence contrit, il périclitait. Le courage lui est venu de je ne sais où, de la lassitude peut-être ou d’un peu de sagesse. Il a suspendu courageusement les égards qu’il croyait lui devoir, elle s’est évanouie en quelques heures. Un peu seul d’abord, fébrile aussi, et puis vite embarqué.
Il avance aujourd’hui à tâtons, pauvre, allégé d’innombrables arrière-pensées, dans une profusion renouvelée et un monde habité par les dieux, un peu ivre, dans un dédale imprévisible balayé par le vent.

Jean Prod’hom

Hameau

Le soleil levé avant l’aube essore le ventre gras de la compostière, Corentin est au bois. À Pra Massin les fenêtres sont grand ouvertes, c’est le printemps, la grande affaire.
Personne dans la maison, les rideaux font le dos rond, caressent en retombant la tablette de la fenêtre, un signe de la main, c’est le cru de la cave qui monte prendre l’air. Mais on respire là-dedans, les braises rougeoient et on devine, enveloppés d’ombres, la veste de Corentin, le linge à mains près de la cheminée, un semainier, l’évier de porcelaine ébréché. La nappe sur la vieille table en bois, quelques fruits, un marron et un gland, des clous sortis du fond des poches. Personne pourtant, les rideaux faseyent, c’est le monde immobile qui appareille.
Dehors, c’est comme dans les livres, mais la terre a le ventre mou, les crocus et les nivéoles sont détrempés. Les mésanges bataillent, les pierres sonnent creux, le ruisseau sort de son lit.
Repousser les mots, ne pas prolonger pour l’instant une intrigue qui n’a pas commencé. Il sera assez tôt lorsque le soleil déclinera d’effeuiller les images, décoller morceau par morceau les lambeaux des récits qui tiennent debout nos vies. Quelques mots devraient suffire à la fin, lorsque l’ombre se sera dérobée, lorsqu’on verra s’éloigner les nuages et le vent, et le dedans aller dehors.
Deux ou trois choses laissées là pour rappeler la légende de mars, comme s’il y eût quelqu’un autrefois, mêlé aujourd’hui aux ombres des noyers sur la pente qui mène au ciel. Avec derrière une autre maison, les volets fermés, dedans une vieille qui a tout laissé dehors, comme si elle allait y retourner.
Mais lorsqu’on lève les yeux pour reprendre à la ligne, plus bas, les yeux n’obéissent plus. Est-ce ainsi ? est-ce bien ainsi ?

Publié le 2 avril 2010 dans le cadre du projet de vases communicants chez Juliette Zara (Enfantissages)

Jean Prod’hom