Dimanche 28 mars 2010



Rien pris aujourd’hui rien laissé non plus, en transit sur tous les chemins empruntés, de nulle part à nulle part dans des lieux sans qualité. On met de l’ordre sur les terrasses pour l’arrivée prochaine de ceux qui nous font vivre et qu’on fait vivre, donant-donnant, on évoque les mêmes lendemains, à l’école les élèves préparent l’avenir, des forains maussades chargent les camions qui emmèneront la fête plus loin, on a fermé l’église pour s’épargner des frais et des peines. Nous vivons le règne des causes efficientes.
Rien n’est fait ici pour rien. Quelque chose tire chacun vers cette autre chose qui lui manque, dont on ne sait rien et qui nous pousse. On parle, on promet, promesses tenues promesses oubliées qu’importe, on n’en voudra à personne. L’affaire est moins pathétique qu’on ne le croit, c’est un principe d’ici-bas, tout s’y fait pour autre chose, comme au purgatoire, mais ne le dites pas.
Et on est là comme un étranger, presque invisible, à l’image de ceux qu’on croise dans une vie et qui trop lointains comptent pour rien. On mange quelques cerises, on s’assied sur un banc en face d’un calvaire, un tilleul a étendu son ombre, et c’est bien agréable de ne pas être tout à fait de la partie, ou d’en être mais du côté de sa fin, et de ne pas avoir ainsi à en dire quoi que ce soit.

Jean Prod’hom

Pâques

Nul ne sait pourquoi, mais on se mit à parler cette année-là d’un inconnu, l’inconnu de la concession 807 du cimetière de La Roche-sur-Yon. Un article à son sujet parut dans le journal local, puis un second, d’autres ensuite qui se multiplièrent. Rien dans sa vie minuscule ne prédisposait pourtant cet homme à une telle gloire posthume. Mais ce n’est pas tout, cette même année on évoqua la vie d’un autre inconnu, enseveli dans le cimetière de Cholet, concession 807 encore. Puis ce fut au tour de Niort, Nantes, La Rochelle… et ainsi de suite. Les plumes les plus avisées joignirent leurs voix à ce concert de louanges posthumes. De proche en proche une foule immense se leva, qui peupla les allées des pelouse grasses et satisfaites de la littérature.

Sous un parapluie, Margot et le croque-mort de Sète, enlacés sur un banc public.

Il avait tant neigé que tout le monde était resté à la maison, et dans le cimetière du village le souvenir des morts avait disparu sous une épaisse couche de neige. Je me trouvai décidément bien seul au milieu de toute cette éternité.

Jean Prod’hom
6 mars 2010

Déplacement de populations

Les mères accouchent
sur les plages
de l’extrême ouest
et du nord-ouest de l’île
le sang coule
et se mêle aux eaux de l’océan
on préfère durablement
tenir à distance l’innommable

avec les tortues

du temps il en faut
avant l’établissement des preuves
et lorsqu’on déclare indubitable
le lien qui noue
la naissance avec le désir
on prend peur
on accuse le vent
châtie la terre
en vain

les premiers grands aménagements du territoire
commencent alors
on rapatrie les parturientes
au centre de l’île
où l’on creuse des niches
dans les sous-sols volcaniques

à côté des morts
le théâtre des naissances

à l’inverse on interdit
les manifestations publiques du désir
on codifie on légifère
les réfractaires sont envoyés
dans une parcelle au sud de l’île
s’y rendent les garnisons
victorieuses ou défaites
s’y établiront plus tard
les commerce de la parure
le marché de l’ameublement
et la petite restauration

on appelle ce temps celui de la grande bascule

Jean Prod’hom