Découverte | Brigitte Célerier

Trifouiller la serrure. La vaincre, et entrer. Poser dans un coin sa valise. Aller, d’un pas qui se veut ferme, ouvrir les volets, et puis toutes les portes. Chercher où poser son sac et son mobile, pour l’appel des déménageurs. Et puis regarder.
Avec un peu de timidité, une prière, sans vouloir, encore, chercher les défauts éventuels – avec interrogation, une supplique, sans servilité, pour être acceptée.
Chercher à sentir l’espace, l’étendue d’air autour du point où on se tient, et sa qualité. Dire un ou deux mots. Ecouter le son que l’on a, là. Se faire nez, délicatement, pour sentir les odeurs endormies, les promesses.
Aller s’appuyer au mur, à côté d’une fenêtre et face à la porte. Tâter la peau du mur. Le caresser de la main, et lui donner une petite claque. Glisser pour s’assoir sur le carrelage. Sourire à la pièce et à l’avenir. Attendre.
Attendre.
Allonger les jambes. Fermer les yeux. Poser les mains à plat sur les tomettes. Se sentir là, dans cette pièce. Aimer cela.
Attendre – jusqu’à ce que la sonnerie (cette absurde corne de brume que vous avez choisie) vous jette debout, vers la porte et dans l’effroi des murs de cartons qui vont investir l’espace, entre les meubles que les voix grommelantes dans l’escalier annoncent.

Brigitte Célerier




écrit par Brigitte Célerier qui m’accueille chez elle dans le cadre du projet de vases communicants : le premier vendredi du mois, chacun écrit sur le blog d’un autre, à charge à chacun de préparer les mariages, les échanges, les invitations. Circulation horizontale pour produire des liens autrement… Ne pas écrire pour, mais écrire chez l’autre.

Aedificavit et Tentatives
Futiles et graves et Juliette Mezenc
à chat perché et Hervé Jeanney
Lieux et Arnaud Maïsetti
L’employée aux écritures et Hublots
Le blog à Luc et Enfantissages
Koukistories et Biffures chroniques
Soubresauts et Kafka transports
Pendant le week-end et Kill that marquise
Le Tiers livre et Fragments, chutes et conséquences
Scriptopolis et CultEnews
Liminaire et Litote en tête
Les lignes du monde et Abadôn
Pantareï et Éric Dubois
Lignes de vie et Epamin’
Les marges et Paumée

Jean Prod’hom

LVIII

Michel et Marjolaine reviennent de Toscane. Comme à leur habitude ils racontent aux habitués du café leur périple et montrent quelques photos. Leurs désaccords continuels nous font sourire, mais depuis le temps personne ne se formalise plus. Ça ne manque pas aujourd’hui encore.
– C’est dans la cathédrale de Pistoia et c’est la chaire de Giovanni Pisano, magnifique réalisation de la première Renaissance.
– Non chérie, c’est dans le baptistère de Pise, et il s’agit d’une réalisation de son père Nicola.
On se regarde, on sourit, eux aussi. Et Michel continue.
– Une belle soirée à Florence, sur une terrasse au bord de l’Arno.
– Mais Georges, tu te trompes, c’est à Arezzo.
– Lise, je t’en prie.
On ne se regarde plus, on ne sourit plus, c’en est trop, je me lève et m’éclipse.

Jean Prod’hom

Dimanche 31 janvier 2010

Encalminé d’avoir trop poussé la machine, il se retrouve les yeux grand ouverts, assis devant ce qui reste à faire, le corps dans un corset, las, des morceaux de paille au fond des yeux, du verre dans la bouche, avec pour seuls compagnons des machines domestiques qui ronronnent : le chat s’est tiré. Dehors le silence est cadenassé, des réverbères au milieu. Le jeune poète s’agite comme une poule dont la tête est au pied du billot, incapable de tirer le moindre plan, même foireux, il va et vient dans le lourd, il bégaie en espérant qu’un joli air viendra, que ses pieds battront le rappel. Rien, pas même la force de prier, aucun endroit dans la pièce pour cela. Rien n’y fait, pas le moindre vent pour le sortir de là, et le vent on le comprend – pourquoi viendrait-il jusque-là ?
Soudain ça remue, car la vie traînait par en-dessous, comme une maladie en rémission qui se réveillerait, comme une bousculade dans du solide, deux mots pendus sont tombés, tenus en réserve, usés, roulés, que le jeune homme ramasse. Deux mots qui brûlent, il les lâche, ils font un pas de deux, s’inclinent et versent dans la paralysie ce dont ils sont gros, tout remue; et la machine qu’il croyait morte l’emmène plus loin, l’oriente pour rejoindre par l’un des innombrables biais ce qui s’était refermé de l’intérieur, le vent l’a réveillé, il titube, un mot dans chaque main qu’il se passe comme au jeu du furet. Aveuglé par la lumière des réverbères, le jeune poète ferme les yeux, rameute toute la langue qui roule. Il y a tant à faire, elle lui brûle les doigts. Il aura suffi de jeter bien loin le couvercle qui lui avait permis de faire le décompte imaginaire de ce qu’il doit, pour courir sur ses pieds ailés. C’est bon comme sur une assiette dans le ciel, il repart pour un tour, il esquive, va allégé sur son erre jusqu’à la nuit.
Et plus tard, quand il dormira profondément, les dieux saleront l’océan et le chat reviendra.

Jean Prod’hom