L’empire céleste

Ils rejoignent
par vagues successives
les terres arables de l’île
assimilent
les curieux vestiges
des peuples sédentaires
leurs dialectes rustiques
les îlots marécageux de la lagune

c’est ainsi qu’ils s’élèvent
ils labourent
nourrissent les chats errants
et se lancent des oeillades
acceptent pour survivre l’incertain
le rien ils le partagent

plus tard la liberté
les idées fertiles
le récit de leur fondation
les lois de l’hospitalité
et celles du sol
plus tard la jalousie
plus tard
plus tard

Jean Prod’hom

Effet de serre

Ce que je ramène de ma résidence 2009 à Copenhague ? Un long poème de 807 vers, isolés par un vide sanitaire qui tiendra éternellement leur cœur au chaud.

C’est un homme engagé, et pour diminuer de moitié ses rejets de CO2 pendant la journée, Jean-Rémy respire une fois sur deux. En contrepartie il s’hyperventile tout au long de la nuit pour nourrir ses cactus et son gommier.

Surpris par la fonte des neiges le ruisseau coule la tête hors de l’eau.

Jean Prod’hom
23 janvier 2010

Le chemin du retour

Les circonstances les avaient rendus extrêmement prudents près d’Ussières en raison de la nuit qui était tombée. Les feux se mêlaient à la neige détrempée qui goûtait du toit et à des traces de doigts. L’homme et l’enfant grimaçaient pour parer à ces saletés, ils se faisaient petits, tout petits pour pénétrer incognito dans la nuit, comme des rescapés. Le bruit du moteur plongeait le peu qu’ils voyaient sur les bas-côtés dans cet inquiétant silence que sécrètent les images dans les salles vides des musées.
Zénon se confia.
– J’ai l’impression que nous sommes immobiles, que nous roulons sur place et que seul le le décor change. J’ai l’impression que nous avançons sur un ruban bouclé sur lui-même qui entraîne avec lui sur ses côtés un double décor. Mais c’est nous qui déroulons le ruban en avançant comme des otaries.
Il reprit un peu avant la Râpe avec le même gravité.
– Certains lieux se ressemblent et je les confonds. Le pont de Vers-chez-les-Rod, le bout droit d’avant Ussières, Palézieux. Le creux sous Corcelles qui est comme celui sous Mézières. Mais aussi la patte d’oie du bois de Ban qui ressemble à celle du bois Vuacoz. Tous ces lieux sont comme un seul lieu.
Zénon n’en dit pas plus. Peut-être songeaient-ils dans le silence qui se prolongeait que leurs respirations, les allées et venues, la crainte de se perdre, les morceaux de réalité cimentés par quelques vieilles certitudes prêtaient aux parties du monde une identité qu’ils n’avaient pas, paysages, idéogrammes fragiles qu’habitent nos vies sans éclat.
Ils avaient beau chercher, les indicateurs de direction avaient disparu. Il rentrèrent à tâtons dans l’autre nuit, ouvrirent la porte de la voiture. Le père et le fils se mirent à chanter dans la nuit déserte, c’était chez eux.

Jean Prod’hom