Ça roule

Vite, vite filer, filer au nord. Et filant au nord croiser ceux qui filent au sud. Pourquoi vont-ils à contre-sens? Satanée route, petites têtes agitées amoureuses de la Costa Smeralda, amateurs de fin de semaine, dépassements, coques et restes, rouge écrevisse. Filez au delta, traîtres, filez au mur mou des rêves fades.
Demeurer donc coûte que coûte à droite et sourire à la farce.
Rester ferme, danger, sourire à ceux qui dépassent par la gauche, ils filent au nord, les laisser filer, ne pas vouloir les rattraper, qu’ils se débrouillent à Frederikshavn, il n’y a rien, la Baltique peut-être.
Au milieu de la nuit sur une semi-autoroute, perdu, sans Eléonore, dépassé par les croisés, j’attends le soleil. Et si le soleil ne revenait pas?

Jean Prod’hom

XLVII

La gamine file à la cuisine le poing fermé, elle serre un crucifix, j’aperçois brièvement la tête du Christ qui brille et ses deux bras cloués sur la croix. Je me lève du fauteuil où j’étais confortablement installé et la suis. Qui a pu lui faire un tel cadeau? Sa mère a bien sûr servi la messe autrefois, mais ceci n’explique pas cela. Je constate alors qu’il s’agit d’un tire-bouchons.

Jean Prod’hom

Dimanche 22 novembre 2009

Il ne la voit pas venir, c’est à peine un pincement, et la gorge qui se resserre, comme quand un argument affûté n’a pas porté, pas prêt à renoncer pourtant, certain de trouver son salut dans le salut de l’autre. L’aigreur s’invite alors et l’imparable qui aurait dû faire mouche s’allie aux mots doubles qui se fichent dans le vide avant de lui revenir nus et sans écho.
Il insiste, veut y parvenir. Et il s’enferme dans le tunnel dont il est seul à connaître la carte, il raccommode ce que nul autre ne voit, il remaille les mots défaits au fond des impasses, défait lui-même de n’avoir su forcer le destin, incompris des ligues du monde. La détresse l’oblige à faire marche arrière, mais la retraite est impossible.
C’est l’épuisement qui le fera capituler, le détournera des pages des mauvais jours. Et l’ambition de maîtriser le monstre qu’un hasard a fait naître mais que plus rien ne nourrit s’effondre avant de disparaître, il regarde les chaînes dont il a poli les inaltérables maillons s’enfoncer dans la terre meuble, il crache les fers d’angle, les tenons et les écrous dont il avait la gueule pleine.
Et tout s’en va d’un coup, il cesse de pleuvoir et les mots redeviennent ce qu’ils étaient, chants et rumeurs. Il aperçoit sur la table une carafe, vide, au cou de laquelle cliquette un chapelet, le col s’évase, le souffle du dedans se mêle au vent du dehors, le temps reprend forme et son âme va à la houle.

Jean Prod’hom