Cette année ce sont des sultanes que nos amis se sont fait livrer pour repeupler leur poulailler. Le renard s’est décidément mis à avoir des goûts de luxe.
Jean Prod’hom
Cette année ce sont des sultanes que nos amis se sont fait livrer pour repeupler leur poulailler. Le renard s’est décidément mis à avoir des goûts de luxe.
Jean Prod’hom
Il suffit que le soleil enflamme les gouttes d’eau qui perlent à l’extrémité des branches des mélèzes pour que les promesses rapiécées, les projets en mitaines, les arrière-pensées couleur de cendre, les soucis fausses-écharpes reculent. Et on remise tout, et on va sur les chemins. Le garçon se remet à sautiller, lance son diabolo, s’étonne lorsqu’il pince les fruits charnus des impatientes, et il recommence, sautille, lance, pince et on est heureux. Jusqu’à la prochaine averse de septembre qu’il verra jeter son filet dans le jardin, rêveur derrière la vitre muette de sa chambre.
Jean Prod’hom
Les gouttelettes pendues aux oreilles du trèfle, alourdi par la pluie tombée sans discontinuer pendant la nuit, brillaient et prolongeaient l’esprit de fête des jours passés, les foins, les moissons. Mais la rouille qui avait fait son apparition à la lisière du bois sur les feuilles de la première rangée, là-bas au loin, trop loin pour qu’on soit en mesure d’identifier l’essence, annonçait qu’il fallait compter avec la roue des saisons. Peu de mouvement dans ce tableau vivant, sinon celui de quelques nuages attardés, joufflus et souriants, qui avançaient haut dans le ciel en direction de l’ouest pour rattraper le temps perdu. La façade blanche de la maison frappée par le soleil faisait songer aux lumières de l’hiver. Les volets sombres, les fenêtres et la porte fermées, son éloignement aussi lui donnaient l’air buté. Depuis longtemps déjà ni le train ni le bus ne traversait plus cet appendice du monde que seuls deux agriculteurs du village et un vieux gardaient en vie.
La porte s’entrouvrit et le vieux sortit de la maison blanche pour s’approcher d’un pas hésitant du potager clos d’un treillis sans âge, il n’y pénétra pas mais regarda longuement les chétifs légumes qui enfonçaient leur tête dans les épaules. (Les légumes désespèrent à une telle altitude lorsqu’ils sont sans soin.) Il se dirigea ensuite vers le cabanon de la lisière, qu’il regarda avec l’esprit ailleurs, comme un aveugle. Il revint dans le verger les bras dans le dos, il s’immobilisa, appuya sa canne contre un pommier des moissons, croisa les bras sur la poitrine. Il portait une vieille salopette bleu roi et une chemise vert moutarde, des rides matelassaient son visage, il semblait visiblement indifférent au tour que prenait son domaine. Il croqua dans une pomme qu’il abandonna aussitôt dans l’herbe. Il se rendit alors d’un pas hésitant au bout de l’allée, ne se servant qu’à peine de sa canne sur laquelle il s’appuya pourtant pour ouvrir la boîte aux lettres. Il se redressa, les mains vides, reprit sa lente marche en direction de la maison dans laquelle il disparut, sans même avoir jeté un seul coup d’oeil au ciel qui avait retrouvé des airs de printemps.
Jean Prod’hom