Penser / classer

Le père a livré son fils à des assassins qui espéraient par sa mise à mort se donner un peu d’air. Comme le chat avec la souris. En acceptant ce destin, le fils s’est retiré du jeu et a abandonné ses frères à leur destin solitaire. Ils ont quitté le pays pour raconter son innocence et fonder ainsi à nouveaux frais ce que le père et le fils avaient dénoncé.
Le filon s’épuise, qui livrer désormais? où aller? où se retirer? où s’établir? que fonder?
Manquera peut-être bientôt ce peu de vide qu’il nous faut pour respirer, ne nous restera que notre ombre, qui le souhaite?
– Quelle autre issue?
– Prendre acte de notre finitude.
– Difficile!
– Je le crains.
– Mais que voulait exactement le père?
– Se donner, peut-être, un peu d’air.

Jean Prod’hom

Dimanche 26 avril 2009

Le facteur est mort, on l’a appris par le journal, ce journal qu’il glissait chaque jour dans notre boîte aux lettres. La vie pourtant continue, et on avance hébété dans une campagne dépeuplée.
On l’aimait sans le connaître vraiment, on l’aimait de loin, ou comme s’il était né avec le lieu. Il ouvrait les allées de nos jours, Ropraz, Corcelles et ses oasis, le Riau, la Moille-au-Blanc, la Moille-Cherry, la Goille.
On l’appelait par son prénom, il nous appelait par le nôtre, toujours un mot pour réveiller nos enfants.
Stéphane a été le compagnon bienveillant du peu que nous sommes, présent à l’égal du pommier du jardin, du hangar ou du chat. mais mobile comme un furet, jamais très loin, qu’on l’aperçoive ou qu’on le manque, métronome de nos jours, régulateur de nos attentes, mains vides ou mains pleines, témoin de nos riens.
Par la grâce de ses allées et venues, du sillon qu’il traçait dans ce bout du monde, que nous devions quitter quotidiennement pour notre subsistance et celle de nos enfants, il a régné discrètement sur notre biotope, avec la régularité du laboureur, jetant la graine qu’on attendait, ou celle qu’on n’attendait pas. Il assurait le double souhait des forains que nous sommes tous ici, être d’un lieu sans y être forclos. Qui désormais?
C’est un monde qui s’en va. Je crains que les messages ne nous parviennent plus identiquement.
Stéphane parti, nous sommes aux prises avec les mots nus.

Si l’on nous demande
Pourquoi ces vies
Nous montrons nos cicatrices
Elles ont été nos charrues et nos récoltes
Nous les avons engrangées sans relâche
Sous les ciels bleus des belles saisons
Peinant et nous pressant
Sous l’orage des haches
Labourant la plaie énorme, semant dans la chair
Labourés nous-mêmes
Le grain monte
Du fond des fosses nous voyons les fumées sous les nuages
Nous sommes tranquilles

Jacques Chessex

Je lis aux enfants ce poème que la famille de Stéphane a glissé dans le faire-part. On est à table, en famille, Lili ne comprend pas.
– Il reviendra, dit-elle, distribuer le courrier, il reviendra. Ce sera un chien, ce sera un chat…
Je dis alors au dedans: « Comme moi demain et toi mon demi-dieu, ma divine, sans raison, mais avec la discrétion qu’il nous a apprise, toi et moi. Nous sommes ces champs longs et larges, gras au printemps, déserts l’hiver, sur lesquels s’abat un matin, à midi ou à minuit l’orage des haches. »

Jean Prod’hom

A la Une

LE MATIN DIMANCHE
SUISSE (titres de la colonne 1, page 4)

TESSIN: Homicide dans le milieu de la drogue / VAUD: Un motard se tue / NIDWALD: Policiers en formation blessés / BERNE: Montagne fatale / GENEVE: Collision mortelle avec un train / BERNE: Un cycliste perd la vie /
GRISONS: Indemnes après une chute de 80 mètres
– Ouf!

LE MATIN DIMANCHE
MONDE (titres de la colonne, page 6)

GOLFE D’ADEN: Les pirates capturent un cargo allemand / PAKISTAN: La bombe tue 12 enfants / ROYAUME-UNI: Fortunes en déroute / MACEDOINE: Soixante colis d’héroïne saisis /
VENISE: Les people chez Pinault
– Ouf! Un Eden loin d’Aden!

Jean Prod’hom