Pierre Bergounioux… et puis un rêve

Nous nous sommes retrouvés au collège une petite dizaine, samedi matin à 10 heures, pour la seconde séance d’information autour de Maîtrise de français et sa grammaire – enseignée quelque temps encore dans le canton de Vaud. Moins tendu que lors de la séance de mercredi passé, j’ai su lever l’essentiel de ce que j’avais projeté. Moins de précipitation donc, moins d’agitation, de confusion…
Il faut dire que pour introduire mon propos j’avais trouvé un allié de poids en la personne de Pierre Bergounioux. Son Ouvrir la grammaire (Nathan, Paris 2002) est une petite merveille dont les avant-propos. introduction, préambule,… méritent le détour.

Ce court traité postule simplement que le lecteur, comme tout homme, en possède la maîtrise pratique. Il voudrait rattacher une discipline perçue comme tristement scolaire à son principe même, à la vie et à sa dimension proprement humaine, celle de son sens. Il n’établit rien que le lecteur (jeune ou moins jeune) ne sache déjà, mais d’un savoir qui fréquemment s’ignore et que les pages suivantes ne font que porter à jour.

Avant-propos

Nous sommes doubles, faits d’un corps et d’un esprit. Le premier est matériel, prisonnier d’une heure – le présent – et d’un lieu (ici, maintenant). Le second, quoique immatériel, n’est est pas moins très réel, puissant et libre. Il peut se transporter ailleurs, revenir dans le passé ou se porter dans l’avenir, imaginer ce qui n’est pas. Tel est le privilège de la pensée. Nous ne sommes pas seuls au monde… Pour faire connaître ce que nous sommes aux autres et pour savoir ce qu’ils pensent, nous nous parlons.

Introduction

En français, huit espèces de mots suffisent à tout dire…
Les deux espèces majeures sont le nom et le verbe parce qu’elles se rapportent aux deux dimensions de notre expérience: l’ESPACE et le TEMPS, qui composent le MONDE.

Morphologie

La parole est, avec le rire, le propre de l’homme. Elle est au coeur de toutes les activités. Elle constitue la principale ressource de nombreuses professions (enseignant. interprète, avocat, psychologue, parlementaire…). Elle peut être tarifée (téléphone). Elle a un PRIX – en temps, en argent, en fatigue – que l’on cherche à réduire. Minimiser le coût linguistique, telle est l’utilité du pronom …

Le pronom

Et puis j’ai avancé de deux ou trois pas dans le rêve que j’ai fait à la suite de la séance de mercredi passé. Tout d’abord nous nous sommes retrouvés dans la nouvelle bibliothèque, assis ensuite sur de vraies chaises, au profil de violons rouge griotte, face enfin à de vraies tables.
Ce n’est pas tout: on se retrouvera qui voudra le premier samedi matin du mois d’avril, on ouvrira la salle d’informatique, on ouvrira la salle attenante à la bibliothèque, la classe 11,…
Si l’on nous y autorise!

Jean Prod’hom

Éclaircies



De l’opacité chronique qui règne dans les relations entre l’école et ses usagers surgissent parfois des éclaircies qui annoncent des jours meilleurs.
Ainsi hier matin à l’aube, je lis un mail signé par les parents d’un élève – envoyé à 00:44:00 GMT, tous les détails comptent lorsqu’on a besoin de réconfort! – qui m’ont fait le plaisir d’accepter la veille au soir mon invitation à une séance d’information autour de la grammaire et de son enseignement aujourd’hui dans le canton de Vaud, une séance promise il y a quelques semaines déjà à l’occasion d’une réunion de parents.
Ils me remercient en faisant preuve de la gentillesse et de la bienveillance qui concourent si souvent à atténuer les peines et les remords de l’orateur, engendrés par le souvenir de ses imprécisions, de ses précipitations, de ses omissions – il faut s’y faire, les choses sont irréparables.
Au terme de leur message je lis : Votre proposition d’organiser d’autres soirées à thème trouve notre entière adhésion. Cette question du but de l’enseignement, en lien avec la quantification du travail scolaire, nous semblerait un sujet intéressant à débattre…
Je me prends à rêver…
Ce serait un soir de printemps, le mercredi 22 avril ou un matin, le samedi 24 avril, on nous aurait mis à disposition la bibliothèque du collège – qui s’appellerait Chez Nono – on s’assoirait autour d’une vraie table, avec de vraies chaises et on dirait la variété de nos attentes, l’irréductible, le possible, l’impossible, le nécessaire, le souhaitable… On prendrait avant de se quitter un apéritif, il ferait grand beau, les enfants joueraient dans la cour, etc.

Jean Prod’hom

Tu quoque, mi fili

Le père fait entendre au fils ce qu’il est incapable de lui dire et que le fils est dans l’incapacité de comprendre: tu n’es pas seul, et nous sommes deux. Il lui fait entendre ce que celui-ci ne comprendra que plus tard, lorsque il sera mis en demeure de le faire entendre à celui dont il sera le père.
C’est en donnant naissance lui-même à son propre fils que le père ne devient véritablement le fils de son propre père. C’est dire que le père est toujours un peu le fils de son fils, et le fils toujours un peu, mais à son insu, le père de son père.
En devenant celui qui est venu avant, l’homme comprend enfin ce que c’est que de venir après.
La naissance du fils oblige le père à occuper la place que son propre père n’a jamais cessé de lui faire entendre, la place de celui qui vient après, la place seconde qui est aussi celle du premier venu.

Jean Prod’hom