Si nous voulons ressouder puissamment la nature humaine, il nous faut, à cette profondeur, tâcher de réaliser une activité idéale que nous appellerons travail-jeu pour bien montrer qu’elle est les deux à la fois, répondant aux multiples exigences qui nous font d’ordinaire supporter l’un et rechercher l’autre. […]
La méconnaissance de cette filiation, la séparation aujourd’hui consommée entre jeu et travail, ont une portée humaine, dont on ne sait plus mesurer l’importance tragique. Cette méconnaissance, cette séparation sont à l’origine de la dégradation catastrophique du travail humain, et nous en subissons le spectacle et conséquences. Si le travail n’est qu’une peine, s’il ne nous est pas substantiel, si le nouveau dieu, si fallacieusement prometteur, est le jeu, il est normal qu’on en vienne à fuir le travail ou du moins, si on y est contraint, à l’accepter passivement comme un mal nécessaire, et seulement parce qu’il permet la satisfaction de certains besoins, la faveur de nouvelles jouissances.Célestin Freinet, Oeuvres pédagogiques I,
L’Education du travail, 1949
Le travail-jeu
Jardin (Célestin Freinet XXXVI)
Riau Graubon / 9 heures
Rentrons en effet… Nous avons quelque honte à vous faire perdre ainsi votre temps…
– Croyez-vous que j’étais venu ici pour faucher sans souffler, comme une machine, ou comme les valets des machines? Ce sont les citadins sans compréhension ni philosophie qui ont cette conception du travail. Ils se prennent à frapper, à scier ou à faucher sans arrêt afin d’avoir plus vite terminé, parce qu’ils ont l’habitude d’un travail aride et mort, dont il faut se débarrasser au plus tôt, comme de ces purges qu’on avale nerveusement en fermant les yeux… Un mauvais moment à passer… On se fatigue davantage, c’est vrai, mais dès qu’on a fini on rentre et on peut s’occuper autrement…
S’occuper autrement! Se distraire, s’amuser! Voilà bien les caractéristiques, dans notre civilisation, de cette séparation du travail et de la vie, de l’effort considéré comme une punition, comme une regrettable nécessité dont nous devons nous appliquer à réduire l’emprise.Célestin Freinet, Oeuvres pédagogiques I,
L’Education du travail, 1949
Un puissant besoin de travail
Greyloz (Célestin Freinet XXXV)
Corcelles-le-Jorat / 13 heures
Si ma théorie – dans ce domaine, hélas après tant d’autres, il faut se contenter de théories –, si ma théorie est exacte, si le jeu n’est que l’exutoire d’une activité qui n’a pas trouvé à s’employer, on pourrait le considérer comme un succédané, un correctif et un complément du travail, et formuler que l’enfant joue lorsque le travail n’a pas suffi à épuiser toute son activité.
– Alors le jeu, qui est communément considéré comme un délassement, serait selon vous une forme spéciale de travail, recherché, et au besoin inventé, par l’enfant pour user son trop-plein de forces? […]Ah! si mon père s’était, comme le font malheureusement tant de parents inconscients, réservé exclusivement le beau rôle, s’obstinant à monter tout seul le mur et m’utilisant seulement comme manoeuvre: « Donne-moi cette pierre!… Fais-moi passer cet éclat!… Va chercher la bêche!… Où donc s’est caché le marteau?… « Bien sûr, alors j’aurais été vite fatigué et, regrettant la partie de boutons manquée et me désintéressant à bon droit d’un mur qui n’était pas mon oeuvre, je me serais contenté de chercher entre les pierres les escargots « tapés » que je ramenais le soir pour les faire cuire dans la braise avec une pincée de sel. Le travail ne me donnant pas satisfaction, j’aurais aspiré à un dérivatif, et le jeu se serait imposé.
Célestin Freinet, Oeuvres pédagogiques I,
L’Education du travail, 1949
Un puissant besoin de travail