Mai 2022

JEAN-LOUP TRASSARD sur l’herbe, au bord de mer ou dans les combles.
Deux petites poches à ma culotte courte. De l’une je sortais pour le regarder l’objet parfait et énigmatique. J’étais sur l’herbe de notre pré, celui qui touche le jardin, où sont quatre poiriers à cidre, et j’avais ce souvenir du lointain. Absolument mystérieux. Bleu assez pâle, ou surtout terni par l’usure. Un coté bombé, l’autre moins, c’était presque rond. Rencontré entre vagues et plage… je me souviens que je ne savais plus… pas une pierre ou alors très riche, pas un coquillage malgré formes, couleurs, nacres versés sur le sable par le bord agité de la mer où je n’entrais pas. Dans ma paume cette presque boule usée, c’était parcelle de l’inconnu sans contours que je tenais. (Tardifs instantanés)


La ferme, le balai, quelques jours dans l’Aubrac, le traquet, le joug, le travail des bœufs, le fumier, les chemins. Avant qu’on n’y comprenne plus rien.

Grignan -Sauzet: 2 – 1


Valréas


TRUINAS | sacristie : … ce que le soleil m’a laissé, la nuit


Au Riau / Grande Chélidoine


Pourquoi les traits d’un paysage finissent-ils par tant s’accorder?


Au Riau / Sceaux de Salomon


Mélique / Avenue de l’Ancyse / Bagnols-sur-Cèze


Grillon


Gif-sur-Yvette | le dimanche 23 mai 2022



Cher Jean,

J’ai rêvé, comme Rambert, d’être changé en martinet. Je continue. Ils dorment en vol, soutenus par les souffles de la nuit. J’ai parfois entendu, vers minuit, leur trille dans l’azur assombri.

Figure-toi que c’est en juillet 1978, deux ans avant toi, seulement, que j’ai lu, au prix des pires peines, La Phénoménologie de l’esprit. Si je n’ai pas été disloqué, à peu près anéanti, par l’idéalisme absolu, c’est que j’avais lu Marx, qui règle son compte à Hegel en trois foudroyantes pages.

De son voyage dans les Alpes, je ne savais rien, que les deux mots qu’elles lui ont inspirés: « Cela est ».

Et puis il y a ceux, mémorables qu’il a adressés à ses compatriotes lorsque l’armée française, après avoir écrasé les Prussiens sur le plateau du Landgrafenberg, a fait son entrée à Iéna: « Regardez! C’est l’Esprit du monde qui passe, à cheval ».

Pas souvenir d’un mois de mai aussi beau, aussi chaud que celui qui s’achèvera bientôt.

Amitié

Pierre

Vie du poème

Dans sa Vie du poème, Pierre Vinclair pointe du doigt les dangers qui menacent les hommes lorsqu’ils demeurent aveugles au double mouvement de leur existence. 

Car nous ne sommes en vérité pas un mais deux, jetés dès le commencement hors de nous-mêmes: dans le monde et dans la langue. Et ces deux modes d’existence ont des effets considérables sur nos vies, puisqu’ils donnent l’occasion à l’immédiat et au disparate, dont nous faisons continument l’expérience, de renaître et de reparaître dans une poignée de mots, capables de leur donner forme, tonalité et cadence.

Mais si la langue met ainsi à notre disposition un véhicule capable de nous faire toucher du bout du doigt le monde, en lui offrant un lieu où faire halte, une page où surgir, la langue peut aussi nous en éloigner et nous l’aliéner à jamais.

C’est dire que la tâche de l’homme est délicate, puisqu’il lui revient de dire le monde, non pas celui qui fut ou l’immuable, le monde perdu ou qui ne sera pas, mais le monde tout proche, celui qui vient à nous et auquel on s’ouvre; le monde qui n’est pas encore et que nous balbutions, que nous cherchons à faire nôtre et à partager en l’offrant et en le soumettant à nos proches; le monde qui sans cesse prend les devants et auquel nous mêlons nos pas; le monde qui nous affecte, celui de nos attachements et de nos dépendances, mais aussi celui du tout-venant, celui sur les rives duquel nous accostons au réveil et dans lequel nous vivons aux aguets, jusqu’au soir, dans sa parution et sa nomination.

Monde-poème, à l’équilibre fragile et mesuré, créé pas à pas et mot à mot, sans cesse renouvelé, repris et relancé. Et nous au milieu. Ici en deux et à l’avant de soi.

En lisant « Vie du poème », j’ai plus d’une fois pensé à André du Bouchet.