Rathvel

Enfoncé dans sa cagoule et son bonnet, les yeux fuyants, il a l’allure et la voix sans fond du possédé. Il est seul et glisse sur les pentes du Gros Niremont à Rathvel, de haut en bas et de bas en haut, la raison s’égare à moins. Tiré par l’une des barres d’un T, il ne semble pas à mes côtés, comme s’il avait laissé la plus grande partie de lui-même à la Verrerie où il vit et le solde à La Tour-de-Peilz où il exerce le métier de serrurier. Je me sens tout petit à ses côtés, presque rien: un presque rien à côté d’un absent.
Il me parle alors de ce lieu où il est né il y a une quarantaine d’années et qu’il n’a pas quitté: La Verrerie issue, m’apprend-il, de la fusion de Grattavache, du Crêt et de Progens. Ces noms sacrés qu’ils prononcent réveillent le possédé qui sort de lui-même. Il ne s’arrête plus et, par cercles concentriques, étend sa domination sur le monde. Il égrène les neuf communes du district de la Veveyse et celles qui ont disparu au coeur de la fusion : Attalens, Semsales, Bossonnens, Châtel-Saint-Denis, Granges, La Verrerie – Le Crêt, Grattavache, Progens –, Le Flon – Bouloz, Pont, et Porsel –, Remaufens, Saint-Martin – Besencens, Fiaugères. Le poème terminé il se tait. Quelques mètres encore avant le carrousel des T et on se quitte.
Ces noms font rêver: Besencens, Fiaugères, Grattavache… et la Verrerie, qui abrite un possédé. En moins de huit minutes, ce possédé aura fait d’un presque rien un connaisseur et un inconditionnel de l’un des sept districts du Canton de Fribourg. J’irai visiter la Verrerie.

Jean Prod’hom

Dimanche 4 janvier 2009

Les Israéliens sont entrés dimanche matin en file indienne dans la bande de Gaza. Les soldats du Hamas et de Tsahal, au nom de tous ceux qui n’en peuvent plus, au nom de tous ceux qui souhaitent la paix font la guerre. Mais ceux de Sderot comme ceux de Gaza ne se leurrent pas, ils connaissent, j’en suis sûr, l’horreur des jours qui viennent.
Ici c’est la rentrée, on a fêté Noël, le gué de l’an neuf, la neige, le gui aussi, à quelques heures de vol seulement du Dôme du Rocher, de l’église du Saint-Sépulcre et du mur des Lamentations.
Hier matin donc j’ai parlé aux élèves de septième année de la naissance d’Israël à la sortie de la Seconde Guerre mondiale, j’ai dit les conditions de vie précaire des Palestiniens à Gaza, l’artillerie lourde de Tsahal, la peur des habitants de Sderot. J’ai dit le peu que je croyais savoir, les roquettes acheminées par d’impensables galeries creusées sous la frontière égyptienne et envoyées dans le ciel si souvent bleu du Neguev. Bref le malheur qui s’éternise au sud-est de l’Europe.
Je demande aux élèves de schématiser dans leur cahier le bassin méditerranéen, d’indiquer Suez, Gibraltar et le Bosphore qui désenclavent ce sans quoi la mer au milieu des terres ne serait qu’une marre nauséabonde. J’esquisse les limites d’Israël, hésite sur ses deux capitales qui n’en sont pas; je balbutie le statut de la Palestine reconnue par certains ignorée par d’autres, … le désert du Neguev qui pénètre au nord-est de l’Afrique comme un coin, la Cisjordanie, Gaza et la bande de Gaza.
Il est bientôt 11 heures 15, l’heure de nous quitter. En me faufilant entre les tables, je regarde leurs cahiers; sur quelques-uns je distingue le dessin de quelque chose comme une larme qui coule sur la joue dodue de l’Europe, je me retourne et aperçois alors sur le tableau noir mon propre dessin: Israël pleure Gaza.
Des drapeaux il en faudra pour enterrer les morts et éponger les larmes des survivants. Le tableau est décidément sombre.

Jean Prod’hom

Un, deux, trois,…

Autour d’un feu de bois, des pâtres, vieilles fringues, et le fils fêtent; ça s’ébruite, effet boeuf.
Six bonzes de Santa Cruz et de Fez forcent les ruses d’un prince de glaise.
C’était le premier rite: coquilles d’oeuf, belles saintes, lents parfums, les adieux, la croix, et toi, je crois, près de l’âtre.

Jean Prod’hom