Dimanche 24 mai 2009



Les deux filles reviennent du bord du lac avec leur mère chargées de cailloux. elles demandent qu'on leur prépare du ciment-colle pour fixer les différentes parties du corps de leurs personnages. Je me souviens alors du 21 octobre 2007, nous étions de l'autre côté de ce même lac, elle et moi aux Petites-Rives, accroupis tout aux long de la journée dans les cailloux...

– Tu les prendrais si je ne les prendrais pas?
On avait décidé d'un commun accord de rester sage et économe. Avec le ciment-colle acheté à Granges-Veveyse, on avait fixé le caillou rond ramassé sur la grève qui prolonge la terrasse de l'Hôtel des Cygnes: notre premier cyclope. Elle n'avait pas voulu me le céder, elle l'avait offert au retour à sa mère.
On avait attaqué aussi, assis cette fois, le morceau de molasse de la Montagne du Château qui traînait depuis quelques jours avec des outils dans le coffre de la voiture. On avait gratté, limé. Louise s'était emparée d'un fragment qui s'était détaché du bloc trop friable, elle avait esquissé une espèce de tête, la tête d'un hydrocéphale, comme cela arrive souvent avec les amateurs que nous sommes. Louise prêtait des secrets aux pierres, elle pensait avec conviction que des êtres s'y cachaient, les habitaient et qu'il suffisait de les dégager. Cela remontait à la visite que nous avions faite ce même automne du Portail peint de la cathédrale de Lausanne: les statues polychromes, les pierres de l'édifice, la molasse, sa présence dans la région, à deux pas de chez nous, mes explications peut-être, tout cela l'avait conduite à se faire une idée de la sculpture qui m'avait ravi et que j'avais peut-être à mon insu induite. Son frère s'était moqué de cette conception et j'avais essayé sans succès de lui démontrer que sa soeur s'approchait peut-être de ce que cherchent à atteindre les sculpteurs.

Aujourd'hui, près du cognassier en fleurs, à côté du billot de bois qui lui sert d'établi, elle sourit lorsque je lui raconte ce qu'elle disait de l'art de sculpter.

Jean Prod’hom