Hameau
Le soleil levé avant l’aube essore le ventre gras de la compostière, Corentin est au bois. À Pra Massin les fenêtres sont grand ouvertes, c’est le printemps, la grande affaire. Personne dans la maison, les rideaux font le dos rond, caressent en retombant la tablette de la fenêtre, un signe de la main, c’est le cru de la cave qui monte prendre l’air. Mais on respire là-dedans, les braises rougeoient et on devine, enveloppés d’ombres, la veste de Corentin, le linge à mains près de la cheminée, un semainier, l’évier de porcelaine ébréché. La nappe sur la vieille table en bois, quelques fruits, un marron et un gland, des clous sortis du fond des poches. Personne pourtant, les rideaux faseyent, c’est le monde immobile qui appareille. Dehors, c’est comme dans les livres, mais la terre a le ventre mou, les crocus et les nivéoles sont détrempés. Les mésanges bataillent, les pierres sonnent creux, le ruisseau sort de son lit. Repousser les mots, ne pas prolonger pour l’instant une intrigue qui n’a pas commencé. Il sera assez tôt lorsque le soleil déclinera d’effeuiller les images, décoller morceau par morceau les lambeaux des récits qui tiennent debout nos vies. Quelques mots devraient suffire à la fin, lorsque l’ombre se sera dérobée, lorsqu’on verra s’éloigner les nuages et le vent, et le dedans aller dehors. Deux ou trois choses laissées là pour rappeler la légende de mars, comme s’il y eût quelqu’un autrefois, mêlé aujourd’hui aux ombres des noyers sur la pente qui mène au ciel. Avec derrière une autre maison, les volets fermés, dedans une vieille qui a tout laissé dehors, comme si elle allait y retourner.
Mais lorsqu’on lève les yeux pour reprendre à la ligne, plus bas, les yeux n’obéissent plus. Est-ce ainsi ? est-ce bien ainsi ?
Publié le 2 avril 2010 dans le cadre du projet de vases communicants chez Juliette Zara (Enfantissages)
Jean Prod’hom
Gros pépin et petits emmerds
À entendre tous les jeudis soir le récit des 708 ou 807 petites souffrances que s'échangent les habitués du Liseron, j'en viens à me demander si un gros pépin autour duquel graviterait toute une vie ne vaudrait pas mieux que le chapelet des petits emmerds qui la rongent morceau par morceau.
Jean Prod’hom
16 juin 2009
Sauver les apparences
à Anthony Poiraudeau (Futiles et graves)
Une jeune femme virevolte au milieu de la cafétéria, toute pimpante dans sa robe à volants savamment étagés; elle laisse deviner des formes dont elle est visiblement fière et que considère à la dérobée ses collègues de travail. Elle s’immobilise soudain, se penche pour saisir les désagréables plis que font ses collants sous son habit de reine, des plis qu’elle remonte tant bien que mal sous le mille-feuille de ses tissus, des plis qu’elle tente de dissimuler ensuite en les lissant tout autour de sa taille de guêpe, avant de se redresser et de virevolter à nouveau.
Je songe alors à l’histoire de l’architecture, aux solides églises romanes de Bourgogne qui joignent sans à coup ni césure le dedans et le dehors; aux architectes des cathédrales de l’ìle de France qui ont été amenés à concevoir des contreforts aux dimensions de leurs ambitions babéliennes; aux basiliques relookées du XVème siècle toscan enfin, à celle de Santa Maria Novella que termina à Florence Leone Battista Alberti en 1470, fixée avec de la colle au vaisseau rustique des frères Sisto et Ristoro, à toutes ces façades de la Renaissance italienne qui, derrière le clinquant, laissent apparaître des coutures bricolées, des raccords, des mauvais plis, bref l’immoralité.
Tout en me baissant pour remonter mes chaussettes, un aphorisme de Nietzsche me revient en mémoire, il conseillait en 1878 à ceux qui bâtissent : Pour exciter l'étonnement, il faut enlever les échafaudages lorsque la maison est construite (Le Voyageur et son ombre, § 335). Si j’avais osé compléter la parole du maître, j’aurais ajouté que, par bonheur, l’histoire restaure à notre insu le dissimulé. Mais ça il n’aurait pas aimé : un peu trop hégélien.
Jean Prod’hom
Economie de subsistance
Emerveillement au-delà du marécage
le canot conduit
au seuil d’une caverne sacrée
dans laquelle dit-on
pleuraient les dieux
pas loin
un abri sous roche
et tout contre les parois
des restes de madriers
des pierres des planches
autrefois
des sauvages lacustres
la douleur à marée haute
s’y rassemblaient
pour se consacrer à l’essentiel
à l’aube
ils rejoignaient les rives
d’un lac d’altitude
avec les teignes
les vers et les asticots
c’est à ces hommes qu’on doit
la pêche à la ligne
au filet
la pêche au coup
à la mouche
la pêche à la bombette
la pêche au toc ou à rôder
à midi ils rabattaient les oiseaux aquatiques
égarés dans les touffes de roseaux
et les échangeaient en plaine contre des babioles
plus tard ils érigèrent
à deux pas de la caverne
un petit oratoire dans laquelle s’est perpétuée une tradition
y priaient ceux qui avaient attrapé
de la main gauche
un poisson une grenouille
une écrevisse un serpent d’eau
une mouche aquatique
un ver de lagune
un canard ou un cygne
les gauchers se multipilèrent
c’est dire que l’oratoire
qu’on appela
la chapelle de la main aux merveilles
ne désemplit pas
Jean Prod’hom
Dimanche 25 avril 2010
Au fond, qui ne souhaiterait pas mener la vie d’une locomotive, une belle locomotive au museau froid et rond; filer tête baissée sous le soleil ou dans les éclairs, siffler, souffler, puis aller au pas dans la campagne déserte, parmi le colza ou le blé, recevoir des soins en fin de semaine dans un hangar aux allures de cathédrale, sommeiller les yeux grand ouverts dans un réduit de province ou une immense gare de triage; et pour terminer, disposer d’une retraite utile chez un ferrailleur, ou insensée au bout d’une voie de chemin de fer abandonnée, les pieds dans les herbes hautes, près d’un bois, enlacée par le lierre, loin des regards indiscrets.
Jean Prod’hom
Sonogno-Frasco-Gerra-Brione-Motta
à Nathanaël Gobenceaux (Lignes du monde)
Jusqu’au milieu du dix-neuvième siècle les loups étaient nombreux au Tessin. Ils causaient de nombreux dommages aux paysans en décimant les troupeaux de chèvres et de brebis. Pour les éliminer, les paysans creusèrent dès le Moyen-Age des lüére, fosses tapissées de pierres sèches à l’intérieur desquelles ils déposaient un appât vivant pour les attirer et les y faire tomber. On trouve non loin de la petite plaine triangulaire de Brione deux témoignages de ces pièges conçus de telle manière que le loup pouvait y entrer mais, après avoir dévoré sa proie, ne pouvait plus en sortir. Il était aisé alors au paysan de tuer l’animal, de lui sectionner une patte en échange de laquelle les autorités lui donnaient une récompense.
De ses sources jusqu’au Lac Majeur dans lequel elle disparaît, la Verzasca ne s’embarrasse de rien, elle embarque tout dans son lit: la caillasse qui roule du Pizzo Barone, de la Cima Bianca et du Mezzorgiono; les vieux mélèzes, les châtaigniers épuisés, des hêtres; la terre rare que ravine l’eau de la fonte, les restes compostés de fougères, d’edelweiss et de rhododendrons, l’eau des cascades, celle des affluents à laquelle s’abreuvaient autrefois les brebis quand ces anonymes avaient un nom, Efra, Motto, Poncione d’Alnasca; l’eau qui ruisselle, l’eau qui glisse, celle du Val d’Osola, les eaux qui ont eu raison des bergers, bientôt colporteurs ou ramoneurs en Lombardie, éleveurs de bétail ou vignerons en Californie, ouvriers au barrage de Contra levé en contrebas du village de Vogorno noyé aujourd’hui dans le lac de rétention, employés de bureau à Locarno, à Bellinzone ou à Ascona.
La Verzasca a tout embarqué mis à part les immenses blocs de pierre, schistes, micaschistes, gneiss et granite blanc en couches transversales, contre lesquels le torrent toujours plus gros vient buter et hurle continument, une immense rumeur, une rumeur caillouteuse comme si le torrent avait des galets dans la bouche.
Il a fallu des siècles aux Verzaschesi et leur bétail, cheveux blonds et yeux bleus pour atteindre Sonogno, le dernier village de la vallée, au confluent du Val Redorta et du val Vigornesso, en tenant ménage en plusieurs endroits, cultivant maïs et vigne jusqu’à Vongorno, seigle, chanvre et pommes-de terre plus haut dans la vallée. Les truites prospèrent à Gerra. Le châtaignier vigoureux a nourri leur sobriété, un chemin à double ornière, une route enfin construite entre 1868 et 1873. Aujourd’hui il ne faudra à l’hôte de Tenero qu’une paire d’heures pour boire un café au Grotto Redorta et revenir.
Et tandis que je descends sur le chemin qui longe la rivière, tandis que je glisse sur cette pente, avec la terre, les vieux mélèzes, j’entends monter la folle rumeur de la Verzasca, comme celle d’une résistance, une promesse qui ne lâche pas. Il n’est pas aisé de remonter les murs de pierres sèches, de retenir les habitants, impossible de dresser l’eau, mais le bruit monte, remonte là-haut, là où sont les merveilles, au sources, à contre sens, là d’où vient cette rumeur, là où on n’entend rien.
Au XIXème siècle, pas moins de 246 loups furent capturés dans les vallées tessinoises. Dans la Valle Verzasca la présence du dernier loup remonte à 1908. En 2001 le loup a refait une apparition, tout là-haut près du lac Barone. Au-dessus les nuages, immobiles, on n’entend rien, presque rien, quelque chose comme un songe, celui d’un sage qui rêvasse, à Porte Tolle, entre Venise et Ravenne, au bout du Pô.
Jean Prod’hom
Journée sans
Que dire de ces journées que l'on pousse devant soi avec ceux de son espèce dedans et qui s’achèvent enfin lorsque la grille de l’atelier grince? Rien sinon qu’on est soulagé. On ne dispose pourtant d’aucune poignée d'épluchures à lancer dans la basse-cour, pas même des cris d'un fou qui ricocheraient contre les fûts des bois noirs.
Les nuages de basse altitude déguerpissent. Ceux du haut s’embrasent et les sapins de la crête du bois Vuacoz plient.
Tout au long de la nuit un petit homme famélique surveille l'entrée d’une cathédrale. Il va vomir continûment au pied d'un lampadaire pisseux dressé au centre d'un carrefour désert. Un peu plus loin, deux grosses femmes au dos nu tatoué grimacent à l'entrée d'un bâtiment en ruine, elles fument pour combattre le froid de l'hiver qui a rongé le peu de volonté qui leur reste, elles grimacent, elles ricanent, elles racontent à tour de rôle la même sale histoire. Dans la cour au bitume fissuré, des enfants amaigris, orphelins – cela se voit – crient. Quelques-uns essaient, sans succès, de s'arracher des griffes d’une bête immonde qui ronge leurs mains. D'autres – adolescents plutôt – dansent autour d'un monument aux morts en béton décrépi, ils se passent un objet incandescent qui fait saigner leurs mains et leur arrache la peau. Tout ce joli monde finit par me regarder en souriant.
Jean Prod’hom
Dimanche 18 avril 2010
Je possédais autrefois un gros livre que je feuilletais quelquefois et chacun de ses chapitres avaient pour titre le nom de l’une des saisons. Dans cet ouvrage on ne comptait pas les ans, pas plus que les jours qui n’ont pas grainé.
Aujourd’hui, à gauche du chemin défoncé qui mène à l’étang, là dans la terre pauvre, damnée, aussi dure que le caillou, dans laquelle l’eau ne s’attarde pas, terre hostile sur laquelle les vipères ne font que passer a éclos une nuée de tussilages. En face, dans l’ombre des feuillus, au-dessus de la rigole qui draine les eaux de ruissellement rampent des pervenches portées par d’innombrables guirlandes de petites feuilles, ovales, coriaces et généreuses. Je m’agenouille pour les observer et les prier de durer.
Tout va si vite, d’autres fleurs préparent leur éclosion, les mélèzes tendrissent. Il faut te satisfaire de n’avoir qu’elles jusqu’à la fin du jour. Sois prêt à désoeuvrer en leur compagnie pour ralentir l’inexorable venue du crépuscule. Imagine le jour comme ces tapis de fleurs éphémères que tu traverses, le jour aura les coudées franches et s’étendra dans toutes les direction. Et lorsque le soleil aura malgré tout quitter la partie, ne te hâte pas de rentrer pour raconter ce que tu as vu. N’écris rien, ou plus tard et dans la peine, dans la prolongation du jour, non pas peur de la nuit mais pour te préparer à la succession en rafale des beaux jours. Demain d’autres fleurs t’inviteront à te pencher, chacune à son tour, hors tout décompte, la camomille bientôt, dans les remblais, et derrière les couronnes rampantes des pervenches les fières épilobes, et le printemps reviendra et prolongera de quelques pages le gros livre que tu feuilletais autrefois.
Jean Prod’hom
A l'aube
Là-bas
dans l’étroite bande de terre
qui borde l’océan
les premiers hommes
dessinent
dans le sable
quoi
ils ne savent pas le dire
ils tranchent à même le temps
deux morceaux
ce qui fait trois
deux monstres et un fantôme
dans le ciel
les prophéties s’amoncellent
ils font tout
pour rabouter les chemins sectionnés
pour rameuter les bois
recoller la tête du condamné
raccommoder les cours d’eau
ils y vont au courage
la tâche est sans fin
chemins mal raboutés
cavernes lacs et montagnes
noeuds du monde
accidents des interminables travaux
au cours desquels
nous sommes nés pour la seconde fois
issus d’une trame
plus ancienne
sur laquelle on ne revient pas
ils font et tissent ensemble
ce qu’ils ont séparé
au confluent
parfois pourtant
des esprits éclairés
aperçoivent derrière la brume
un frémissement
la lumière et l’ombre
ils se souviennent
du temps sans personne
où nous étions de n’être pas
et leur voix tremble
Jean Prod’hom
Fin de partie
Il suffit parfois de se laisser glisser à l'arrière du cortège et de s'accrocher confiant à sa traîne tandis que la nuit tombe, aller comme un automate en prêtant une oreille étonnée mais bienveillante aux cris de ceux qui en veulent, lèvent le poing, de ceux qui allongent le pas devant. Oublier ainsi un instant les lourdeurs qui collent aux basques et les doutes qui alourdissent les pas. Tourner le dos au choses qui avancent et qui ne vous attendent pas, secoué - bercé - par les cahots de la terre qui a lancé son second demi-tour. Temporiser en songeant, à peine, au tas de mauvaises herbes et aux pétales des roses fanées qui reculent dans la nuit du jardin, aux oiseaux tapis dans les haies, au renard qui erre, aux chatons emmêlés dans la corbeille à linge. Temporiser à la queue du cortège jusqu'à ce que le sommeil vous ravisse et laboure tour ça.
Le matin, les yeux s'ouvrent sur les montagnes à l'orient, tout est rincé et on ne se souvient de rien. On aura beau chercher à s'en rappeler, à vouloir en fixer les étapes, histoire d'en tirer une leçon pour le lendemain. Rien. Rien n'en ressortira lorsque dans deux saisons l'analogue se présentera à nouveau, il ne servira à rien de vouloir se souvenir – de quoi? –, aucune expérience n'y fait, il faudra à nouveau se glisser à la traîne du jour qui file à l'ouest et cet abandon suffira peut-être encore.
Jean Prod’hom
Le regard éloigné
à Brigitte Celerier (Paumée divagations)
La ruelle qui monte au parking du collège est déserte, personne sous le soleil, des reflets seulement, pas de trottoir, quelques couleurs, deux ou trois choses sans nom qu'on apprend à nommer à l'école, et tout autour, jusqu'au ciel, ce léger désordre dont on on n'a jamais su trop quoi dire.
Les fenêtres sont ouvertes, Lucas, Mathilde et les autres travaillent. L'air libre dehors s'agite, ou plutôt frémit, si bien que la fraîcheur entre dedans avec le soleil, le ciel et la fraîcheur d'avril, celle qui désaltère au contact de la laine rousse et brûlante. Le corps ne s'en défend pas, elle me confond et me tire dehors, où suis-je?
C'est quelque chose qui vient de je ne sais où, mais auquel je me livre sans reste; quelque chose qui me conduit comme chaque fois en des lieux laissés pour compte, parce qu'il n'y a pas de place pour ça ni dans le monde ni dans la mémoire, parce que ça ne prend pas de place, ça a toujours été là, ça n'attend pas. Me voici ravi dedans et dehors, hier demain et aujourd'hui.
J'ai terminé mes devoirs – abscons, inutiles, bâclés – et je file devant, dans un espace immense et vide, ou plutôt un espace que je n'ai pas eu le temps de remplir, c'est avant le repas du soir, entre cinq et six et il fait beau, c'est au mois d'avril. Les recommandations de ma mère se sont perdues dans le long couloir, derrière aussi la porte de l'appartement qui claque, je suis en avant de tout, le garde corps de la première volée d'escalier a fini de gronder, le saut par-dessus la seconde volée est derrière moi, ça résonne comme dans une église. Reste la lourde porte d'entrée si difficile à faire bouger, sur laquelle il fallait s'arc-bouter mais dont jamais personne ne s'est plaint; ni pêne ni serrure, ni gâche ni clé ne bougeaient plus, seul quelques grincheux espéraient qu'il en fût autrement. Je demeure immobile sur le perron, un pied sur son vieux marbre piqué, l'autre accompagne le mouvement de la porte qui se referme lentement derrière moi, comme si c'était son poids qui la ralentissait, le nez dehors, à deux pas du monde avec son soleil immense, avec derrière dans la nuit de la cage d’escalier des chaînes, et devant le silence d'avant quoi que ce soit. Je n’attends rien et ça dure une éternité. Et puis, après – mais quand? –, la porte accouche d'un claquement, sec et effaré, à peine audible, et on va de l'avant pour toujours.
Mais aucun verrou ne peut barrer la route à notre désir d'être, sinon le désir de mourir. Et plus tard, lorsque l’imprévu nous rappellera à l’ordre, on sera libre de commencer avant qu'il ne soit trop tard la mise à jour de ce dont la vie nous a éloigné pour que, guéri de l'exil – le mal nécessaire –, nous parvenions au printemps suivant à y goûter un peu à nouveau, le regard éloigné.
Jean Prod’hom
Ratés
J'ai écouté hier soir un exposé remarquable d'un penseur brillant. Il a su me faire entendre dans un français limpide et avec des mots qui étaient à la fois les miens et les siens ce que nous ne pouvions pas manquer de partager à la fin. Je n'ai pas tenu la distance,.... je me suis assoupi et j'ai pris le large, manquant de cet air qui doit nous maintenir à bonne distance et permettre au monde de s'installer en tiers.
En écoutant Clarisse parler en un français approximatif, bancal parfois, je me suis approché tout près de ce à côté de quoi elle passait, sans espérer pourtant jamais parvenir à faire autre chose que de l'effleurer. C'est le maintien de la distance entre ce qu'elle essayait de dire dans une langue qui n'était pas la sienne et ce que cela supposait vouloir dire dans sa langue maternelle qui me ravissait et offrait la possibilité de l'avènement d'une réalité et d'un sens.
En acceptant de dire ce à côté de quoi elle allait immanquablement passer en usant d'une langue à double foyer, Clarisse faisait entendre l'insuffisance de nos langues maternelles et les accidents de nos pensées. C'est par le creusement de cet espace indéterminé rythmé par les ratés de nos deux langues que nous disposons d'un milieu.
La disparition accélérée des langues est une tragédie, le règne d'une seule une catastrophe. Comment voudrais-tu que j'aperçoive la densité de ce qui m'entoure si tu uses des mots de ma langue? On ne naît au monde que par la médiation de la langue de l'autre.
Jean Prod’hom
Où sont les pigeons?
Si la sagesse populaire nous rappelle qu’une hirondelle ne fait pas le printemps, Mao Tsé-toung nous a également enseigné que 807 hirondelles peuvent aisément, si elles se donnent le mot, inverser la ronde des saisons.
Depuis que la nouvelle loi sur la protection des animaux est entrée en vigueur, plus moyen de joindre par téléphone le vétérinaire ou le marchand de volailles, le réseau est saturé : poules, oies, poulets, canards, dindons, tous téléphonent à leur avocat.
Le chardonneret dans les mains du souverain, l'ancolie et le lys aux pieds des rois-mages, et pour nous le chemin boueux.
Jean Prod’hom
20 mars 2010
Le jour du glyphe
Des quartiers
il y en avait des quartiers
et ces quartiers
sur l’île
avaient un nom
cinq quartiers
cinq noms
sans fond
et pourtant
exempts de secret
l’empreinte du cactus
au milieu du milieu
le bouclier à la flèche perdue
le repère des aigles
le nid du serpent à plumes
ces quartiers correspondaient
à des entailles
dans le temps
et on racontait les hauts faits
de leurs habitants
seule l’étendue d’eau
vers laquelle
coulaient
les ruisseaux de l’île
seule la lagune
qu’un long môle
de pierres cyclopéennes
tenait éloignée
de l’océan
demeurait à l’écart du grand partage
on a essayé disons-le
d’entailler cette étendue
mais rien n’y fit
aucun récit ni ciseau ni flèche
n’entama la lagune
on lui donna simplement
le nom de glyphe
ce sont les goélands et les cormorans
sur le môle immobiles jours et nuits
qui firent le reste
une fois par année
au jour du glyphe
ils ouvraient leurs ailes
s’ils s’envolaient
du côté de la lagune
les enfants juchés
sur les épaules des vieillards
poussaient des cris
précipitaient
les vieillards gueulants
au milieu des joncs
des roseaux
les corps mourants
dérivaient alors
sur la lagune jusqu’au môle
s’ils prenaient
la direction de l’île
on portait les vieillards en triomphe
jusqu’au pied du figuier
et les enfants leur tendaient des fruits
à la pleine lune qui suivait
quoi qu’en aient décidé les augures
on jetait les armes
dans la lagune
et c’en était fait d’une génération
je n’ai pas trouvé plus fidèle image
de la précipitation des premiers hommes
Jean Prod’hom
Dimanche 11 avril 2010
Un bout de haie maigre sous le soleil en haut du talus qui borde la route des Chênes, à deux pas de Vers Chez les Porchet: quelques fines tiges de noisetiers sous des frênes, et des ronces, un bouleau aussi, décapité et manchot. Je m'agite, n'ai-je pas d'autres choses à faire? des choses plus sérieuses? La raison pique du nez, je fais demi-tour et grimpe sur le talus. Avec une légère appréhension, faudra-t-il attendre encore?
Je tâte la terre et m'y assieds pour la première fois cette année, j'aperçois de plus près les jeunes ronces que se partagent équitablement les bourgeons neufs et les piquants acérés. Le dispositif est sommaire mais il me protège de la bise. Nulle traîtrise, la terre est sèche, meuble, chaude, des promesses et du bonheur. Tout autour le lierre résistant, vert, luisant, et les reliefs de l'année dernière dont la neige, le froid et la pluie ne sont pas venus à bout: les brindilles se cassent comme des allumettes, les feuilles mortes s'émiettent comme du tabac. Trop de soleil pour accueillir les crocus, les pervenches ou les anémones, la haie est grise.
Je tâte la terre et m'y couche pour la première fois cette année, j'aperçois en haut les branches innombrables d'un chandelier, c'est un long frêne qui ondule sous la bise, mèches encore éteintes. J'entends à côté de moi un froissement ténu, c'est une coccinelle à la tâche, elle a bien six ans d'âge, mais on n'est décidément pas aux mêmes dimensions, j'ai beau m'approcher, lui prêter mon assistance pour franchir les innombrables obstacles, elle m'ignore. Impossible de la comprendre, sa paire de lunettes jaunes semblent lui suffire dans l'obscurité. Je m'acharne, continue mes observations idiotes, elle s'obstine elle aussi avant de s'envoler.
Je somnole, est-il bien raisonnable de rester là couché à ne rien faire? continuer? mais continuer quoi et m'en aller où? Me voici soudain ramené au rang de la bestiole: que faire dans cette obscurité qui semble me satisfaire et dans laquelle je m'endors? Et qui est prêt à me donner un coup de main?
Sans savoir comment, me voilà debout, le long du pré qui descend jusqu'au bois. Je cherche sans y croire les deux ou trois morilles que j'ai vues il y a quelques jours dans les mains du Grignanais près du Lez. Mais n'y crois pas, pas la tête à ça, mais la tête à quoi, la tête à rien. Je continue ma promenade, il n'y a bientôt plus rien, du gui qui colonise les vergers et moi en trop. Et soudain, sans savoir exactement comment ni pourquoi, je rejoins la coccinelle qui avait pris une grosse avance sur moi, je m'envole, pour rien, là-bas, sur les hauts de Mézières et de Ferlens.
Jean Prod’hom
LXI
Cathy m'a prié de donner un coup de main à son neveu en difficultés scolaires. Il peine tout particulièrement en mathématiques et en physique. Je me trouvais donc en cette fin d'après-midi à la table du personnel du café, aux côtés de Georges qui avait à résoudre pour la semaine prochaine un devoir lié à la question de la poussée d'Archimède.
Je lui explique donc qu'un corps plongé en tout ou en partie dans un fluide soumis à un champ de gravité subit une force particulière, je tente ensuite de lui faire comprendre que cette force provient de l'augmentation de la pression du fluide avec la profondeur, que la pression, étant plus forte sur la partie inférieure d'un objet immergé que sur sa partie supérieure, il en résulte une poussée globalement verticale orientée vers le haut... Mais je m'interromps quand je m'aperçois que le corps de Georges est emmêlé dans le filet de mes explications, les yeux grand ouverts, bouche bée: je crains que son esprit n'ait pris la poudre d'escampette, je me sens bien seul.
Je change alors mon fusil d'épaule et décide de lui proposer une approche plus intuitive du problème, une approche qui devrait, je l'espère, le rapatrier parmi nous et lui permettre d'accéder à l'essentiel. Je me lance...
– C'est dans sa baignoire qu'un beau jour Archimède se rend...
– Ah! non, pas ça, pas lui! C'est un vrai cave ce gars-là! Changer une ampoule dans un hôtel d'Alexandrie le cul dans une baignoire, faut le faire! Un inculte pire pas des nôtres!
Je prends ma respiration, ferme les yeux et coule à pic!
Les pénitents de Valréas
Nefs latérales en demi-berceaux financées par d’anciennes familles; chapelles en couronne; fleurs, pétales; un moine et un sanglier dans le feuillage; dessus un campanile octogonal à baies trilobées coiffé d’une couverture conique; cinq pans rectangulaires renforcés par des pilastres à chapiteaux. Et l’orgue, de la même grosseur et ton de ceux de Cavaillon, et le bois travaillé en bosses, positif de douze jeux et un pédalier; harpies, dragons, anges sonnant, putti et végétaux.
Dedans douze pénitents de notre temps, attelés à la misère du monde, sacs à main glissés sous le banc, obéissants, ils prient et chantent – il reste tant de choses à faire pour améliorer le sort des hommes, les accompagner à l’échafaud, les ensevelir, en délivrer quelques-uns, se consacrer aux malades, lancer quelques prières, assurer les soins, proclamer sa foi, processions et charité. Ce matin les pénitents de Valréas accompagnent en pensées et en louanges ceux de la paroisse qui sont partis en car pour Lourdes, ou en train pour l’Île de France. Avec une intensité variable, une douzaine, je l’ai dit, ce sont des pénitents gris, avec une jeune femme tout devant, pâle, à sa droite un prêtre, blanc, tristes à mourir. Soudain une voix d’alto sort de derrière un pilastre, tout se réchauffe, les paupières se soulèvent. Il aura suffi d’une tierce pour que le vaisseau s’envole.
Dehors une ville grise, cagoulée. fatiguée de tirer derrière elle des siècles de petites gloires, maisons fermées, stores baissés, des reliefs d’industries, quelques souvenirs, des remorques sur des plots, des oiseaux sans personne pour les écouter.
Jean Prod’hom
Dans la marche
A côté des prêtres et des guerriers
qui se partagent
le fruit des travaux
de ceux qui n’ont bientôt plus rien
à côté des agriculteurs
des marchands et des fonctionnaires
spoliés et bientôt exténués
un paysan
il refuse net
de payer l’impôt
et se retire dans les marches de l’île
accueille les pauvres errantes
dans sa hutte
avec lesquelles il chante
confectionne des manteaux
en fibres de maïs
les amoureux les rejoignent
qui l’a vu se souvient
de l’éclat de sa patience
de ses mains creusées
par les heures
d’un labeur
obscur mais inévitable
de son pagne bigarré
brodé
presque rien
pas de bijou en or
de petites récoltes
et deux mots interdits
hégémonie et ascension
pas d’autre célébration
un verre de fermenté
au jour des ligatures
et un hymne
au jour de la pénombre
lui et ses compagnons
vécurent des bienfaits
que sécrètent les horizons étroits
je le dis
mais qui l’aurait dit
c’est eux
qui enrayèrent
sans qu’ils le veuillent
la désertion des bois
en plaçant un labret d’ambre
dans les mâchoires des loups
et en offrant leur liberté
aux bêtes de la basse-cour
trop longtemps captives
trois générations
se succédèrent
dans cette région de l’île
et puis plus rien
le chroniqueur
évoque la vie
de ce singulier personnage
en marge du récit
de la disparition
des petits dieux locaux
il ne dit rien d’autre des circonstances
la mémoire est oublieuse
Jean Prod’hom
Memento mori
Ne pas mourir n’offrirait qu’un avant-goût assez quelconque de l’éternité. Pour y goûter pleinement, il faudrait non seulement ne pas mourir, mais encore ne pas être né. Et ça, c’est pas à la portée de n'importe qui.
Jean-Rémy, militant actif d’Economie et propreté, a exigé de son entourage que le parti puisse disposer un jour de ses cendres pour confectionner un savon. Je voudrais de mon côté qu’on me cède celui-ci, un seul instant, pour effacer soigneusement les traces de son passage.
Une paire de ciseaux et un noeud en huit pour le séparer de sa mère, un harnais en collier sur lequel il aura tiré toute sa vie, la faux oubliée qui l’attend au bout du chemin.
Jean Prod’hom
4 avril 2010
Dimanche 4 avril 2010
Les voix qui, hier en fin d’après-midi, avaient mêlé leur grain au vent après que celui-ci eut forci, avant de s’en séparer – il s’était mis à pleuvoir –, et de se retirer un café à la main dans la maison close puis, à la nuit, plus profondément encore, de murmures en murmures, dans les chambres à coucher, se lèvent l’une derrière l’autre ce matin, s’assurant par de timides saluts croisés qu’elles sont bien vivantes. Elles s’éprouvent l’une l’autre tandis que le soleil entame sa course sans se retourner.
Je le sais, je les entends ces voix, m’en réjouis même, mais n’y touche pas, tout occupé que je suis à faire tenir debout, au bout de la nuit, sur un écran flottant dans la dépression d’un rêve, une figure constituée de deux parties : à gauche quelque chose comme un texte de six ou sept lignes, à droite l’image d’un autre texte, légèrement décalé vers le bas et plus court. Je les lis une fois, deux fois, étonné par leur équilibre, leur matière aussi, je me promets alors de les transcrire sitôt éveillé. Je les lis encore à plusieurs reprises, consciencieusement, sans jamais pourtant distinguer chacune de leurs parties. J’ouvre un oeil, à peine un oeil, le referme, me retourne pour vérifier que je suis en mesure de tirer ces deux objets hors de la nuit. Je sais la tâche difficile, vont-ils survivre au changement de milieu? Je me décide et lève une paupière, ils sont là, au guichet du sommeil. J’avance encore un bout en entrouvrant la seconde paupière... Trop tard, la figure s’échappe, les mots aussi, le sens même de l’ensemble. Demeure la certitude qu’ils existent bien de l’autre côté de la barrière
Je ne renonce pas, malgré une voix qui me souffle que la partie est condamnée d’avance. Je me retourne, ferme les yeux une nouvelle fois, et me rendors en prenant garde de ne pas entrer trop loin dans la nuit dont je suis, quoi qu’il advienne et quels que soient mes efforts pour y demeurer, en train de m’éloigner. Je somnole sur le seuil, me retourne. J’aperçois alors, au-delà de l’arrière de mes yeux, les traces de mes deux images. Je les lis à nouveau en me promettant de ne pas bouger tant que je ne serai pas assuré de pouvoir les emporter du côté du jour. C’est finalement fait, j’en ai la conviction, je crois en avoir le contrôle, fais un pas à l’extérieur, soulève une paupière, un pas encore. Mais je sens alors que les deux images s’apprêtent à se glisser dans l’ouverture par laquelle le sommeil vient le soir et s’en va le matin. La haute pression du réel ne fait qu’une bouchée du tout dont la consistance supposée ne résiste pas, tout se dilue, ne reste rien.
Je repars pourtant en campagne, obstiné, la partie ne me semble pas perdue, j’y retourne les yeux fermés encore une fois, sachant bien que je ne pourrai pas réitérer une infinité de fois l’opération. Je sens mes forces qui diminuent, les portes se fermer, les stores se baisser. Les caractères des images s’estompent – dans la nuit ? dans le jour ? Les textes deviennent illisibles. Je force, mets la main sur un groupe de trois mots placés en tête du second texte qui sont restés en arrière – en italique ? en gras ? soulignés ? – auxquels je m’accroche, et que je sors de force. Ils se laissent faire: cliquetis des épitaphes. J’ouvre les yeux, satisfait d’abord de n’être pas rentré les mains vides, déçu pourtant de la fadeur de ce groupe, pire, doutant même de l’origine nocturne de chacun de ses constituants. Ainsi j’aurais été incapable de retenir les bribes d’un rêve, qui m’auraient fait gagner sans effort ma journée? Rien n’y fait, on n’y peut rien.
Il faut tourner la page, j’entends les oiseaux et me mets à picorer. J’entends le vent qui a forci depuis la veille, mais dont le régime s’est inversé. Le vent du nord a fait la lessive, refoulant quelques nuages sales au dessus de la vallée du Rhône qui disparaîtront cet après-midi. Quelques voix se croisent en bas, je goutte à l’odeur du pain qui monte à l’étage, à la chaleur de la nuit et à celle que j’aime, à l’air cru dehors qui chatouille le nez, j’aperçois les gouttelettes de condensation sur les vitres, je passe en revue le visage de ceux qui dorment, j’entends les rires retenus des enfants et le vrombissement des voitures sur le pont du Lez, je m’aventure en faisant coexister quelques-uns des morceaux du réel.
Une porte claque en bas, et la fenêtre de la chambre d’en haut s’ouvre en réponse, apportant la preuve que les choses conspirent. Les morceaux ramassés appartiennent à un ensemble dont je devine les grandes lignes. Et je souris aux civilités d’avant le déjeuner, au cliquetis du dispositif de fermeture de la porte de la salle de bains.
Ne faudrait-il pas sortir de la nuit par une autre porte que celle qui nous y conduit? pour en sortir les mains pleines, ne faudrait-il pas prendre la porte qui est à l’autre bout du couloir?
Jean Prod’hom
Le déclin du jour | Juliette Zara
Au fond, je vis comme sur une île.
Louise était appuyée contre le garde-corps. Le vent, un peu insistant, faisait danser devant son visage les mèches qui avaient échappé à leur lien.
J'ai le corps englué dans les choses et l'âme aspirée par l'horizon. Encerclée. Quelque chose doit poindre là-bas. Quelque chose, oui, quelque chose. Je dévore l'horizon et toujours elle, toujours elle qui point. Cette attente. Jamais ici, toujours là-bas. Jamais maintenant, toujours plus tard. La vie à attendre que quelque chose se passe, la vie, une série de buts à atteindre à perte de vue. Un désir de terminus.
Louise, Louise... dans sa vie bien rangée cherchait le terme et le sens. L'attente sonnait en rythme les percussions de ses heures, de ses jours, de ses années. L'attente était l'ogresse qui dévorait toutes ses offrandes, sa vie. Conjuratoire. Être là. Impossible pour Louise, enracinée dans ce lancer de pierre, ricochet suspendu au-dessus des eaux. Être là, appuyée au garde-corps. Le vent, un peu fort, semblait complice de cette succion de son âme vers d'invisibles lointains qui ne viendraient jamais jusqu'à elle.
Les jours passent, vacants. Retirés. Dans le silence qui précède ce qui doit arriver et qui n'arrive jamais. Je passe, en souffrance, comme un corps que personne ne vient réclamer.
Oh ma Louise, je le regardais ton horizon et c'est à une étonnante pavane que j'assistais. Une ligne se démultipliait et se tordait en volutes au loin devant nous, dans la pulsation colorée du soir. Le ciel fondait tout entier dans les grandes orgues d'un brasier aussi pénétrant que ton regard. Je frissonnais au trissement des hirondelles qui racontaient leurs voyages dans les terres australes. Et ta silhouette se découpait sur ce décor, dans le crépuscule. J'apercevais tout juste le coin de tes yeux à l'affût, qui brillaient au reflet de cet effondrement de tout espoir toujours recommencé, le déclin du jour.
D'un jour qui renaît chaque matin.
Juliette Zara
écrit par Juliette Zara qui m’accueille chez elle dans le cadre du projet de vases communicants : le premier vendredi du mois, chacun écrit sur le blog d’un autre, à charge à chacun de préparer les mariages, les échanges, les invitations. Circulation horizontale pour produire des liens autrement… Ne pas écrire pour, mais écrire chez l’autre.
Et d’autres vases communicants ce mois :
Kouki Rossi et Luc Lamy
Pendant le week-end et Ruelles
Marianne Jaeglé et Anthony Poiraudeau
Cécile Portier et Loran Bart
Christophe Sanchez et Murièle Laborde Modély
Christine Jeanney et Kathie Durand
Sarah Cillaire et Anne Colongues
France Burguelle Rey et Eric Dubois
Fleur de bitume et Chez Jeanne
Mathilde Rossetti et Lambert Savigneux
Antonio A. Casilli et David Pontille
RV.Jeanney et Jean-Yves Fick
Brigitte Giraud et Dominique Hasselmann
Guillaume Vissac et Juliette Mezenc
Michel Brosseau et Arnaud Maïsetti
Florence Noël et Brigitte Célérier
François Bon et Laurent Margantin
Michèle Dujardin et Olivier Guéry
Juliette Zara et Jean Prod’hom
écrit par Juliette Zara qui m’accueille chez elle dans le cadre du projet de vases communicants : le premier vendredi du mois, chacun écrit sur le blog d’un autre, à charge à chacun de préparer les mariages, les échanges, les invitations. Circulation horizontale pour produire des liens autrement… Ne pas écrire pour, mais écrire chez l’autre.
Jean Prod’hom
Dimanche 28 mars 2010
Rien pris aujourd'hui rien laissé non plus, en transit sur tous les chemins empruntés, de nulle part à nulle part dans des lieux sans qualité. On met de l'ordre sur les terrasses pour l'arrivée prochaine de ceux qui nous font vivre et qu'on fait vivre, donant-donnant, on évoque les mêmes lendemains, à l'école les élèves préparent l’avenir, des forains maussades chargent les camions qui emmèneront la fête plus loin, on a fermé l'église pour s'épargner des frais et des peines. Nous vivons le règne des causes efficientes.
Rien n'est fait ici pour rien. Quelque chose tire chacun vers cette autre chose qui lui manque, dont on ne sait rien et qui nous pousse. On parle, on promet, promesses tenues promesses oubliées qu'importe, on n'en voudra à personne. L'affaire est moins pathétique qu'on ne le croit, c'est un principe d'ici-bas, tout s'y fait pour autre chose, comme au purgatoire, mais ne le dites pas.
Et on est là comme un étranger, presque invisible, à l'image de ceux qu'on croise dans une vie et qui trop lointains comptent pour rien. On mange quelques cerises, on s'assied sur un banc en face d'un calvaire, un tilleul a étendu son ombre, et c'est bien agréable de ne pas être tout à fait de la partie, ou d'en être mais du côté de sa fin, et de ne pas avoir ainsi à en dire quoi que ce soit.
Jean Prod’hom