Chutes

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Ils sont légion les performers qui reviennent des enfers ou s’y rendent, expérience limite ou mort imminente, vie en aquarium ou macération lente. Trop tôt souvent. J’aurais préféré qu’ils insistent et creusent plus encore leur galerie au risque d’y rester et d’être admirés pour leur obstination.

Bernadette L. est morte, culte et tintamarre, gueules ouvertes et mort passepartout, grilles et haies. Mais tohu-bohu assez efficace pour creuser ailleurs un peu de silence dans le silence. Foule dense et modeste dans l’église de Corcelles, Henri s’éclipse sur la pointe des pieds. Je me souviens, Pauline m’avait enchanté, Henri avait construit le poulailler qui a mis nos poules à l’abri du renard des années durant avant que celui-ci, comme il se doit, ne croque la dernière. 

Le papa d’Arthur avance d’heure en heure, de jour en jour, de saison en saison. Comme moi. Mais sans personne ni devant ni derrière.

Jean Prod’hom

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Paul appelle littérature tout texte qui tient debout lorsqu’on lui boute le feu.

On a remplacé le problème du mal par celui de l’identification exhaustive de tous les maux.

Ils ont soixante ans et font des mots fléchés dans le parking d'un monde parallèle, jouent au foot derrière un grillage, rôtissent à plat ventre, gros et gras sur le sable. Les cygnes jeunes et vieux se tiennent à l’écart de cet indigent spectacle en maintenant le plus longtemps possible leur tête au fond de l’eau.

Jean Prod’hom

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Il n’y a qu’un pas du réel à l’imaginaire et toutes les portes sont ouvertes. Il n’en va pas de même au retour.

A la fin, l’homme s’est toujours fort bien satisfait des situations à propos desquelles il jurait qu’on ne l’y prendrait pas.

(S’isoler pour être moins seul.)

Jean Prod’hom

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Aussi nécessaire pour un père d'accepter que son fils descende du carrousel sur lequel lui et les siens tournent depuis des générations que d’accepter qu’il fasse sien celui qu'il a enfin quitté.

Les mailles des filets de protection des enfants sont si serrées que même les plus petits ne peuvent s'enfuir.

Prenons garde à ce que nos gamins nourris au grain ne décident de prendre leurs jambes à leur cou et rejoignent Victor de l’Aveyron dans un asile de sourds-muets.

Jean Prod’hom

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En pensant naïvement que l’image qui était apparue dans la vitrine pensait ce qu’elle-même pensait, elle s’était condamnée à la plus extrême des solitudes.

Jean Prod’hom

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Les musiciens tâtonnent, les peintres campent de l’autre côté du miroir, les sculpteurs dressent au centre des giratoires une foule de dieux malingres, les architectes conçoivent des abribus étanches, les cuisiniers préparent des amuse-gueules. Aux raconteurs d’histoires la difficile tâche d’éclairer ce charivari, en lui redonnant une nuit, des ombres avec des bouts de chandelles.

Jean Prod’hom

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Il ne faut au bout de la phrase qu’un peu de soleil et un peu d’air, et un peu de vent, pas grand chose, comme ces bêtes nues que réchauffent dans la clairière les rayons du dernier soleil.

L’Universel, c’est ainsi qu’Henri Thomas appelait le chat qu’il avait trouvé épuisé dans un champ. Un vieux chat avec lequel il ne parlait pas et qu’il écoutait à Anglemont ronronner contre lui, la nuit, pendant les pluies d’automne.

Même s’il est plusieurs c’est toujours le même chevreuil qu’on aperçoit à la lisière du bois Vuacoz, universel et singulier.

Jean Prod’hom

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Ne pas perdre son temps à chercher le passage entre le trop tôt et le trop tard. N’y croît que le prévisible.

Le succès laisse supposer que le but est atteint alors qu’il en éloigne.

Brûler la vie par les deux bouts ? Un seul suffit, précise le fumeur de Havane.

Jean Prod’hom

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Quel soulagement lorsque l’écrivain apprit que ses rivaux engagés dans de prometteuses entreprises avaient fini par y renoncer et par accepter ses conseils avisés !

Que les choses essentielles dépendent de quelques-unes qui ne le sont pas, voici ce dont je ne me remets pas tout à fait.

Les réponses données à des questions qu’on ne s’est jamais posées sont aussi longues et complètes que les silences et les soupirs qui habitent celles qui ne nous ont jamais quitté.

Jean Prod’hom

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La hauteur, du ciel à la terre, façonne aux beaux jours la pâte bleue dans laquelle l'homme se traîne et l'oiseau vole.

Jean Prod’hom

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Combien sont-ils ceux qui vivent jour et nuit avec des essuie-glace ?

Lui sur le trottoir moi sur la route, je croise chaque matin cet ancien élève, dix ans que ça dure. La petite tristesse qui l’habitait sur les bancs d’école a pris depuis ses quartiers et s’épanouit chaque jour davantage. Je regrette parfois de ne pas l’avoir suffisamment encouragé à la faire fleurir dehors – il écrivait bien le bougre. Je suis triste, triste de savoir qu’il y a des choses qui ne se peuvent pas, triste aussi que lui aussi n’y croie guère. A moins que,… plus tard.

Le petit vieux appuyé au montant de la barrière qui longe l’avenue des marronniers et qui peine à retrouver son souffle sourit. Il me rappelle ma mère au mois de juillet 2003. Elle avait alors juste assez de force pour en perdre un peu encore, mais pas assez pour en redemander.

Jean Prod’hom

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Le doute avance comme un mille pattes, les certitudes au pas d’amble.

Inquiet lorsque son ombre s’attache à ses basques, criminel lorsqu’il l’autorise à prendre les devants.

Aller au hasard la chance pour donner une chance à ce qui déborde la raison.

Jean Prod’hom

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Bouchon à la sortie d’Epalinges, je rumine de n’être pas resté sur la file de gauche, m’agite, jure et sacre jusqu’au moment où je prends conscience que les voitures qui me précèdent sont en zone bleue.

- Dis papa ! Quels sont les animaux les plus propres ?
- Les poissons évidemment !
- Tas déjà vu des poissons qui se lèchent ?

Il convient parfois de laisser reposer son âme sur la grille d’un barbecue, en compagnie d’un cervelas.

Jean Prod’hom

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Tout autour de la ville des propriétés privées, à perte de vue, des propriétés privées de tout.

Il n’est pas raisonnable de vouloir conduire l’enfant du je dois au je veux dans une école obligatoire.

- Dis maman ! tu trouves pas que le riz tout seul c’est meilleur avec quelque chose ?

Jean Prod’hom

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La vieille de Pra Massin à qui j’avais fait entendre que j’en avais fini avec les choses qui encombraient ma vie me répondit d’un air bourru qu’il était temps de songer à me débarrasser du reste.

Il y a ceux qui se présentent avec un dièse, ceux qui se présentent avec un bémol et personne, personne qui répond au nom de personne, se tait et grogne, silence, c’est une autre musique.

Entendu au zinc de l’auberge communale ces mots : « René, arrête ton char ! » Ai renoncé à faire mon Quichotte.

Jean Prod’hom

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De l’espoir ne naît pas autre chose que d’autres espoirs.

Je n’ai rien à ajouter
, dit le vieil homme qui avait déposé les clefs de ses poèmes au Mont-de-Piété.

J'ai longtemps confondu Jerry Lewis et Jacques Lacan.

Jean Prod’hom

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Les formules heureuses n’infléchissent pas le cours des choses mais les réchauffent un bref instant du soleil du dedans.

C'est la nuit, il fait gris, il fait froid; avec le temps qui passe, le temps qu'il fait pèse toujours plus lourdement sur le contenu et l'allure de ce qui lui vient à l’esprit. Il s’en réjouit lorsqu'il fait beau et chaud.

Lili joue du piano, cela suffit pour me remettre au diapason.

Jean Prod’hom

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L’homme ne cesse de marcher sur les pieds de son ombre.

Combien sont-ils à se faire la courte échelle pour se retrouver dans la boue ?

L’homme était si brillant que je me mis à rêver d’un peu de fraîcheur.

Jean Prod’hom

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Ne rien écrire sous surveillance, c’est-à-dire par-dessus sa propre épaule.

Ce n’étaient en définitive que des mots mystérieux qu’il avait cru entendre en réponse à ce qu’il aurait voulu dire s’il en avait été capable, et qu’il avait, en toute liberté, transcrits fidèlement.

Faire parler les morts et flotter les enclumes, recueillir sur la page ce qui ne tient pas dans le creux de nos mains, faire de l’ondulatoire avec du corpusculaire. Bref, transsubstantier.

Jean Prod’hom

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Que de temps à chercher une raison à l'arbitraire.

Chaque chemin a son caractère propre, c’est en cela qu’ils ne font qu’un.

Deux idées mais pas de fer à souder.

Jean Prod’hom


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Vivre aussi souvent que possible à la distance d'un jet de pierre, là où se montrent les anges, seul, à respectable distance de ceux qui se sont endormis, de ceux qui veillent et des oliviers, bien visibles parce que cachés, comme nous l’enseignent les bêtes entre chien et loup.

Jean Prod’hom

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L’homme passe son temps à prendre de l’avance ou du retard dans la réalisation de tâches fastidieuses, mais incontournables s’il souhaite disposer à la fin d’un peu de ce temps et de cette liberté sans lesquels l’essentiel ne se montre pas.
Il a préféré pourtant différer aux calendes grecques la jouissance de ce bien. Il profite en attendant de prendre un peu d’avance ou de retard, quoi qu’il fasse et où qu’il soit. L’homme est à l’image de l’usurier, à l’image de la victime du petit crédit, un handicapé du temps.

Jean Prod’hom

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L’indifférence avec laquelle la pluie la neige, le froid et le chaud traitent tout ce qui tombe sous leurs mains, fleurs, bêtes, hommes ou femmes doit nous amener à reconsidérer les égards que nous témoignent ceux qui nous veulent du bien.

Jean Prod’hom

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Avoir une ligne sans être pointilleux.

Vivre le présent d’accord, mais demain. Souvenez-vous d’hier.

Jean Prod’hom

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Peine à croire que le petit estagnon de sang couleur bordeaux que m’a retiré l’infirmière la semaine dernière à Mézières ait un quelconque rapport avec mes jours et mes nuits, si n’avait été cette brûlure aiguë à la pointe de l’avant-bras droit.

Jean Prod’hom

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A trop prêter l'oreille à ce sur quoi l’autre s’étend, on devient muets d’abord sourds bientôt ensemble. Cette règle ne souffre d'aucune exception.

Jean Prod’hom

Après 1968

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La cohorte des maoïstes, des staliniens, des trotskistes ont trouvé refuge dans le journalisme, l'instruction publique, les officines de médiation, à deux pas des champs de bataille qui font rage sans y mettre les pieds. Mais dites-moi, qu’aurait-on fait et que serait devenu le monde sans eux ? Que ferons-nous quand ils se seront tus, lorsque ces rêveurs auront rejoint le rivage des vieux combattants ?

S'il faut craindre chaque jour davantage que des enfants ne viennent armés dans les établissements scolaires et ne lâchent de dépit une rafale sur leurs camarades et leurs enseignants, ne faut-il pas s’attendre à ce que ceux-ci ne les singent pas un jour ?
Il ne faut pas s’en inquiéter pour l’instant, me dit Samuel, ce sont tous d'anciens gauchistes qui font du tir à l'arc.
Mais quand ceux-ci ne seront plus ?

Et hop! se dit-il fatigué d'avoir le cul entre deux chaises. Et il vécut debout.

Jean Prod’hom

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Il a neigé, tout est blanc, blanc comme l’hermine installée dans les sous-sols du pré à Max, elle hésite à se lancer incognito hors du terrier n’était le plumet noir à l’extrémité de sa queue.

Jean Prod’hom

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Le langage, un gouffre sans parois.

Jean Prod’hom

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Enfoncer des portes ouvertes ou inventer la poudre.

Jean Prod’hom

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Retrancher ou ajouter ce qu’il convient à ce dont on ne sait rien pour que tout reste en l’état.

Jean Prod’hom

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Ils se taisent, je commence à les entendre.

Jean Prod’hom

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Je fonce
les paumes
mes yeux sont ceux des aveugles
le cri sous l’éteignoir
je ramène le jour
dessous les paupières
à même les os
vivants de mon crâne
et j'entends la forme d’une plainte
celle de la mer
dans le creux d’un coquillage.

Jean Prod’hom

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Combien sont-ils à attendre ? Vieilles ou vieux amaigris, ceux à qui le courageux a dit : Écoutez, il ne faut pas vous tourmenter... Vous n'avez qu'à fermer la porte à double tour. Et moi, écoutez, j'irai voir. Et s'il se passe quelque chose, eh bien, je viendrai vous le dire... si  je ne reviens pas, c'est que je n'ai rien vu.
Seuls dans la nuit d'une pièce plongée dans l'obscurité, combien sont-ils à trembler en se demandant : Et s'il ne revenait pas précisément parce qu'il a vu quelque chose, et que ce quelque chose est à ma porte ?

Jean Prod’hom

Fosse à bitume

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Il écrit dans un tunnel depuis quelques années, un peu, la nuit. Un matin tu lui soumets l’idée qu’il serait temps peut-être de vider, au moins en partie, la fosse à bitume dans laquelle finissent ses guirlandes et ses papiers perdus, et que tu es prêt à l’aider. Il lève la tête et il aperçoit une lueur. Le livre c’est cela, une aire sur la route, la nuit.

Jean Prod’hom

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Tirer un fil aussi ténu soit-il  – mais de quelle pelote ? – pour y pincer une ou deux choses ensemble sur le fil du langage : petite paire, main pleine, l’improbable quinte floche ou la misère.

Jean Prod’hom




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Certains hommes parmi les plus profonds sont comme quelques-unes de nos étoiles brillantes et lointaines, morts depuis longtemps déjà.

Jean Prod’hom

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- Emporte avec toi l'énigme qui t'a conduit jusque-là !
- Et au delà ?
- Il n'est plus temps de t'en inquiéter.

Qui répondra de ces mots transcrits sur un bout de papier retrouvé froissé au fond d'une poche ?

Jean Prod’hom

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La source jaillit pure, mais elle creuse son sillon dans la boue.

Jean Prod’hom

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Entre la peur du rossignol et la mienne, il y a son chant.

Jean Prod’hom

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C'est la mémoire qui offre à l'homme la possibilité d'avoir quelque chose devant lui lorsqu'il a le dos au mur.

Jean Prod’hom

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C'est dans l'ombre que se mire le bleu du ciel.

Jean Prod’hom

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Il est bien plus difficile et délicat d'imaginer un passé différent de celui qu'on partage – et dont on croit tout savoir – qu'un avenir différent de celui qu'on prépare – et dont on feint de tout ignorer.
Le premier se présente en effet toujours comme un bouleversement des fonds et des combles, le second, à l'évidence, comme un modeste et vulgaire ravalement de façade.

Jean Prod’hom

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La loi morale au-dessus de notre tête ou la loi morale sous nos pieds ? Comme un papillon que deux mains bienveillantes auraient déposé sur un tapis volant ou dans une marmite à vapeur avec le poids du ciel en guise de couvercle ? Sur assiette ou sous couvert ?

Jean Prod’hom

57



Si les phrases ne tiennent pas debout du premier coup, c'est parce qu'elles ont besoin d'aide,... jusqu'à un certain point. Constatant en effet que nous sommes incapables d'en être dignes, elles vont leur chemin. On voudrait alors les suivre, on se dresse pour voir où elles vont.
Sans elles on ne tiendrait pas debout.

Jean Prod’hom

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Voler comme un oiseau, d'accord, mais nullement avec l'intention de voir les choses d'en haut. Pour s'alléger plutôt, et ne garder que l'essentiel, c'est-à-dire rien. Et pour cela, pas besoin d'être un oiseau. Arrête-toi, vide tes poches et mets y les mains.

Jean Prod’hom

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Les moineaux font des petits tas, les pies vont par deux, les villas sont des chambres froides. Petit cimetière par-ci petit crématoire par-là, on entend la chaufferie. Les prunelliers flambent, tout tient, les nuages dans le ciel, les tuiles sur les toits, le lierre au tronc du pin.

Jean Prod’hom

54



Une succession de fragments ne fera jamais voir l’étendue du désastre.

Jean Prod’hom

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Si je me suis mis à rédiger de brèves sentences, c'est tout simplement parce qu'il est plus facile de laisser filer ce qui nous échappe que de l'emprisonner dans les mailles d'un filet, les chasseurs de papillons le savent bien. Il suffit d'une seule personne pour ouvrir la cage d'un fauve, il est nécessaire de mobiliser une armée pour remettre la main dessus, mort ou vif.

Jean Prod’hom

52



La littérature n'est constituée, au fond, que de romans de gare. Il y a en effet toujours un moment où il faut se résoudre à monter dans le train.

Jean Prod’hom

51



C'est l'assurance d'avoir les pieds sur terre qui procure à celui qui avance la tête dans les nuages cette hardiesse si noble et discrète.

Jean Prod’hom

50



Taquiner le goujon, c'est courir le risque de tomber sur du gros, du très gros, du si gros qu'on ne saurait espérer à la fin autre chose : que le fil casse. Mais c'est aussi courir le risque inverse, celui de ramener sur la rive du fretin, menu, si menu qu'on ne saurait envisager autre satisfaction que celle ambiguë de le remettre à l'eau. Que nous reste-t-il donc ? La possibilité miraculeuse de nous en aller chaque matin sur le chemin de halage, sans l'aide de personne, et nous réjouir d'en revenir bredouille, ni victime ni bourreau. Mais est-ce bien raisonnable ?

Jean Prod’hom

49



On ne taille jamais assez les rosiers, il en va de même pour les projets. Il convient parfois de les tailler à ras la terre, ainsi quelques espèces de framboisiers. Ou de leur couper l'herbe sous les pieds.

Jean Prod’hom

48.1



Une passerelle par-dessus le torrent. En haut la montagne en bas la plaine. Un aveugle sur le chemin de halage, avec le fleuve, le vent et le soleil qui fait fondre la fausse monnaie.

Jean Prod’hom

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Les grognements du sanglier, les cris de la fouine, les grincements de la chauve-souris couvraient autrefois le bruit sauvage que faisait entendre sur le parchemin la plume saturée de fiel des poètes. Ce sont les coups de becs du pic contre l'arbre mort qui couvrent aujourd'hui les activités illicites des poètes, leurs doigts gourds martelant sur leurs machines une étrange litanie, celle des tweets désespérés.

Jean Prod’hom

47



Si, avant de s'éloigner du rivage, les ombres te le demandent, laisse-leur ta barque. Et ne bouge pas.

Jean Prod’hom

46



Mais qui donc se charge de l'éducation de celui qui n’a pas d’enfant ?

Jean Prod’hom

45



... mais peut-être aussi – et seulement ceci – l'assurance que les choses se sont bien passées ainsi, sans savoir exactement ni comment ni pourquoi, avec la certitude cependant qu'il ne pouvait en aller autrement, à la place près : toi à la mienne et moi à la tienne, ou qu'importe, tout autrement, mais avec l'espérance immobile que rien ne viendra interrompre la poussée du silence, pas même la mort.

Jean Prod’hom

44



Avec ou sans, pour ou contre, à côté, à notre insu ou à nos dépens, c'est ce à quoi le langage prépose chacun d'entre nous, en cadastrant la confusion sur laquelle il a fondu et en rendant toujours plus étrange le commencement qui recommence sans nous.

Jean Prod’hom

43



Si la phrase te file entre les doigts, c'est peut-être parce que que tu as ferré du gros. Mais ne te réjouis pas trop vite, il est peut-être trop gros pour toi.

Jean Prod’hom

41



Que nous acceptions de payer pour mieux comprendre qui nous sommes et d’où nous venons fait bien voir l’idée que notre société se fait de son avenir. Il faudrait exiger, à côté de la gratuité de la formation, la gratuité des musées.

Jean Prod’hom

40



Aller de l’avant, c’est le prix à payer, mais y parvenir au plus vite pour rejoindre au plus tôt le reste qui est presque tout et que rien ne saurait mettre au pas.

Jean Prod’hom

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On reviendra demain, et on remontera la Corcelette, à l’ombre, jusqu’à la grande cascade. Et plus tard, juste avant d’avoir froid, pendant que tu joueras sur la place de jeux devant le collège avec Roxane et Louise, sous le soleil, j’irai chercher la voiture qu’on aura laissée près du pont sous le cimetière.



Jean Prod’hom


38



Pas de livre
ce matin
branle-bas devant la maison
les enfants mangent
des cerises à pleines mains




Jean Prod’hom

37



Disparaître à tout instant pour ne jamais avoir à rejoindre la foule des revenants.

- Mais que reste-t-il lorsqu’il n’y a plus rien?
- Ce qu’il y avait.

Jean Prod’hom

36



C’est souvent beaucoup plus tard qu’on ressent les effets du poison des paroles bues à grands traits. Seul antidote alors, d'autres paroles. Ou le silence, car la guérison est ailleurs, il est encore temps de tailler la pierre.

Jean Prod’hom


35



La vie sociale est un songe si ténu, si fragile – mais si bien confondu au sommeil de nos consciences – qu’il pourrait tourner au cauchemar sans que, du fond de notre nuit, on n’éprouve un seul instant le besoin de s’en aviser. On peut se consoler en se persuadant qu’en ces circonstances le cauchemar peut également devenir un songe. Ça c’est l’autre rêve.

Jean Prod’hom

34



Une des solides vertus de l’écriture fragmentaire quand elle se fait résolument brève, plus brève encore qu'elle ne le devrait, lorsqu'elle a soulevé le couvercle du ciel et qu'à la fin elle se tait, c’est de ne pas tenir en laisse son lecteur. A la condition toutefois de n’emprisonner en son sein ni énigme ni secret – ou pire qu'elle le feigne – et qu'elle n'use d’aucune de ces boucles qui font revenir le lecteur bienveillant au commencement par un da capo de convenance. C’est la force discrète de le chasser loin d'elle, comme quand le maître, assuré enfin que seule son absence libère l’élève, peint le vol d’une hirondelle dont la disparition accapare un instant celui qui dans son dos attend, avant de l’abandonner à un silence qui le condamne à prendre l’air et à pousser sa vie plus avant. Loin de moi pourtant la condamnation de l’autre scène, celle du mirage qui tient captif le lecteur, l’autre écriture sans laquelle nous serions tous occupés à tenter d’attraper l'inconnu qui se cache derrière le miroir.

Jean Prod’hom

33



Lorsque l'esprit, pour le faire taire, réduit le réel au raisonnable, ne résistent à son emprise que quelques récits fumeux et leurs ombres, qui rejoignent à la fin celle que laisse sur les bas-côtés du chemin notre volonté carnassière quand elle croit infléchir le cours des choses.

Jean Prod’hom

32



Regarde la rivière qui creuse et modèle le paysage. Imite-la, mais rappelle-toi que tu ne disposes pas de son temps. Utilise le tranchant du couteau.

Jean Prod’hom

31



Pour Isabelle Pariente-Butterlin

Elle se tient debout dans une cour d’école pleine de soleil, immobile comme Socrate dont elle se souvient, tel une pierre levée, l’oreille tendue sur le rien qui l’entoure. Il tient dans sa main ce qui a eu, ce qui peut ou pourrait, mais aussi ce qui aurait pu avoir lieu. La journée passe. Elle bouge à peine, elle donne une petite chance supplémentaire à ce qui aura lieu, Socrate s’incline et se retire. C’est ainsi parfois qu’elle va de l’avant.

Jean Prod’hom

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On a appris que ça ne se faisait pas, que le vert des saules jurait avec celui des mélèzes, c’est tout de même très joli, parce que les saules et les mélèzes ne sont tout au plus que des riverains sans intention sur les bords d’un chemin désert qui leur apporte un peu de lumière. Je le vois bien, ils ne prêtent aucune attention à ce qui les entoure, ne font que durer, chacun pour soi, mais j’ai remarqué qu’ils le font sans en rajouter, et c’est pour cela qu’ils n’éprouvent ni le besoin de se rapprocher ni celui de se quitter.
A l’arrière des grappes de samares tiennent solidement aux branches des frênes, à la traîne de l’an passé. C’est ici comme partout ailleurs, toujours la même chose, mais on sait que ça ne se répète pas, on sait que ça dure, ça dure si bien qu’on on ne se plaint pas, qu’on soit en avance d’un pas ou en retard d’un an.

Jean Prod’hom

29



Quand donc les grandes surfaces proposeront-elles enfin des dispositifs capables d’étendre nos peaux de chagrin?

Je patiente, dit la vieille en brassant un jeu de 52 cartes, j’ai toujours su m’occuper.

Tenir à bonne distance ce qui nous tient éveillé.

Jean Prod’hom

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Sommes trop à vouloir faire le beau temps, me retire.

Il y a des nuits où je dors comme un livre.





Les ruines sont les miettes d’un autre désastre.


Jean Prod’hom

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Il a voulu le bien d’autrui, y a mis tout son enthousiasme et un solide acharnement, mais il s’avise aujourd’hui que ne pas vouloir son malheur eût amplement suffi.
Il soupçonne que d’autres eurent cette même idée. Mais lui c’est lui, et lui c’est moi. S’instille alors une folle ambition, celle de donner à cet épisode de conscience une expression plus profonde, plus précise et plus belle, plus légère et plus élégante que celle qu’en ont donnée ceux qui l’ont précédé. Il n’aperçoit pas immédiatement le malin qui grimace derrière lui, auquel il devra bientôt tenir tête avant que ne lui tombe sur le dos la cohorte des démons qui guettent sur le seuil.

Jean Prod’hom

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Les regrets raccomodent nos vies, le pardon les défait.

Jean Prod’hom

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S'extraire du fleuve qui nous emporte, tirer derrière soi une ou deux choses qui sont restées dans le filet du langage et, comme Héraclite, bricoler une image en usant des moyens mis à notre disposition par la tradition, avec des échéances, comme un artisan.
Ça y est. C’est fait. Ça y ressemble un peu.

Jean Prod’hom

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Débiter le réel, dégrossir le complexe, trancher le protéiforme, dérouler l'insaisissable, mettre en ligne l’ensemble des fragments de gauche à droite et de haut en bas sur une portée aux innombrables lignes de fuite. Puis abouter les chutes, les dyslexier hors toute hiérarchie, quitte à les bredouiller, les bégayer; accueillir les sosies, libérer la page de la page, creuser des galeries, inviter les taupes, gauchir. Faire voir les conséquences, c’est-à-dire les feux d'artifice, c’est-à-dire les paysages insensés devant lesquels la page s'est embrasée.

Jean Prod’hom

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Sache que lorsque tu t'enrichis, quelqu'un s'appauvrit là-bas. C'est tant pis pour toi.

Jean Prod’hom

22



Des moineaux déroulent dans la haie quelques mesures du chant du monde. Le papillon applaudit au-dessus du trèfle.

Jean Prod’hom

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L’emprise des lieux qu’on aime sur les choses qui les entourent est telle qu’elle les empêche de fuir.

Jean Prod’hom

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Tout autour des peines et des plaintes. Alors la vieille s'éloigne pour écouter celles du vent. Elle se souvient du corps de la baleine et du ventre des cathédrales. Faudra-t-il renoncer aux successions pour entendre enfin quelque chose aux choses ? être ailleurs, résolument ailleurs, ou l'avoir été?

Jean Prod’hom

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Empêché pour des raisons historiques d’avoir comme son voisin un petit drapeau tricolore fiché dans le coeur, il avait placé dans un pot de grès une petite bannière rouge à croix blanche qui flottait et tournait au gré des vents, fixé été comme hiver aux fers de son balcon, et qu’il regardait songeur lorsqu’il lui semblait manquer de quelques chose.

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C’est autour d’un axe invisible situé à l’angle de l’angle mort du jour que courent les aiguilles de nos heures. Elles balaient morceau par morceau les choses qui s’enfuient d’orient en occident avant que la nuit, la nuit, l’angle de l’angle mort du temps ne remonte la belle machine.

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Comme ces chiens orphelins, solitaires, rêveurs, décidés, qui traversent jour et nuit le quartier qu’ils n’ont jamais quitté. Ils s’éloignent des hommes qui n’en ont cure sans jamais s’arrêter. Tout droit et en tous sens.
C’est qu’un vent de travers creuse leur flanc et les pousse contre d’autres récifs si n’était leur âme droite qui agit comme un safran en les orientant tout droit, en avant d’une mer sans île.
Ils courent, ils courent de travers en tendant simultanément une oreille du côté de ce ce qui ne cesse de les inquiéter, l’autre en direction de ce qui ne se présentera jamais. Toute une vie.

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Parfois constant.

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Il suffit que le soleil enflamme les gouttes d’eau qui perlent à l’extrémité des branches des mélèzes pour que les promesses rapiécées, les projets en mitaines, les arrière-pensées couleur de cendre, les soucis fausses-écharpes reculent. Et on remise tout, et on va sur les chemins. Le garçon se remet à sautiller, lance son diabolo, s’étonne lorsqu’il pince les fruits charnus des impatientes, et il recommence, sautille, lance, pince et on est heureux. Jusqu’à la prochaine averse de septembre qu’il verra jeter son filet dans le jardin, rêveur derrière la vitre muette de sa chambre.

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Au milieu du verger, entouré de tout jeunes arbres, un vieux pommier soutenu par des étais de fortune, chargé et fatigué comme une femme enceinte seule à midi sur la place publique.

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Il y a des jours qu'on voudrait ne pas avoir à entamer ou, puisqu'il est trop tard, hors desquels on voudrait sortir au plus vite, arriver au soir. Des jours sans bord, sans bout et sans forme, rongés par l'horloge, eau morte, des jours moites, noyés dans une haine et une chaleur lourdes et diffuses.
Alors on la passe comme une longue douleur qui va bien finir avec la venue du soir. On a beau gesticuler, aller et venir, le ciel n'est pas là, invectiver ou sourire, rien n'y fait. Aucune entreprise ne trouve son assise, les oiseaux se taisent, les nénuphars se cachent. On voit grossir les soucis nés de l'orgueil, à la presse de rien, à la presse de tout, capable seulement de vouloir en découdre avant d'en découdre, secoué par les chiffres d'oisifs calculs sans fin.
Seule la bienveillance de l'enfant qui a senti le vent mauvais se lever sauve la mise en allant chercher la brouette, il y met la terre fraîche arrachée à la terre et ainsi rétablit l'ordre universel.

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On en a reçu la preuve définitive lorsqu'on regardait depuis le rivage de Beg-Meil la côte de l'Amérique: le ventre de la terre est rond, si rond que l'océan qui la baigne frotte au faux-plafond du ciel, exactement dans l'arrondi de l'horizon, un spectacle que le soleil enthousiaste suit chaque jour à l'occasion de sa sortie quotidienne.
On a ainsi l'explication des nuages, du vent, des vagues, des marées, et des vertus qui animent l'ensemble et ses parties.

Jean Prod’hom

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L’individu était si triste si sombre que son ombre ne supporta plus sa compagnie, le laissa seul lâcha les amarres pour rejoindre la lumière.

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S'il s'abandonne chaque jour au silence sans fond de la nuit, les mains vides, avec une confiance aveugle, comme autrefois le saint à celui de son martyre, il s'abandonne aussi parfois à la folie du jour, les mains ouvertes, et traverse les heures tête nue, comme l'enfant, comme le rêve traverse la nuit.

Jean Prod’hom

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Ils étaient exactement treize hier après-midi, immobiles et silencieux, les avant-bras appuyés sur le rebord de la table, des plats à peine entamés, les verres à moitié vides, quelques morceaux de pain.
L'extraordinaire de la scène tenait non seulement à la mutité des convives mais encore à leur disposition, alignés sur un côté seulement de la longue table recouverte d'une nappe blanche.

Jean Prod’hom

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Ils ont fauché l'herbe hier matin, sorti les pirouettes en fin d'après-midi pour tirer des lignes hésitantes et des marges flottantes. Le soir on a pu apercevoir des pages et des pages plus singulières les unes que les autres entre vergers et colza, elles ressemblaient à des morceaux d'océan, les têtes des pissenlits étincelaient sur les andins comme l'écume sur les crêtes des vagues.
Rien n'y sera écrit. Ce soir avant l'orage ils enrouleront dans la précipitation les lignes, et on tournera la page.

Jean Prod’hom

Ajourement



La vérité reposait plus profond que le fond de la fosse des fosses, là où il n'y avait rien. La pression y était immense, l'air irrespirable, la vie seulement possible, à peine quelques taches, quelques reliefs loin de l'ombre et de la lumière, l'autrefois des choses.

Les mots n'étaient pas encore formés de lettres ajourées aux courbes élégantes, mais d'un continuum de signes opaques et indistincts. Personne ne se souvient d'avoir écrit un jour cette nuit du sens. Les mots n'existent plus, à moins qu'ils n'aient jamais existé ou aient été oubliés. C'était ainsi au commencement et le langage avait la densité des montagnes.

Puis le soleil a fait trembler la terre, la plaque s'est fissurée en même temps que les espèces vivantes qui ne faisaient qu'un, la vérité qui reposait plus profond que le fond de la fosse des fosses s'est mise à migrer lentement vers l'air libre, l'homme et le langage sont nés de cette fracture, et les mots dont tu uses sont les pièces restantes de ce puzzle oublié, de ce continent éclaté et allégé.

Quelque chose s'est levé dans ce lieu inhospitalier, on a percé, foré au hasard, parfois parce qu'un rais de lumière emprisonné dans la matière déclinait une promesse, on s'y engouffrait, on façonnait les bords qui s'effritaient, plaçait des étais pour empêcher les choses qui étaient encore consubstantielles à l'homme de s'effondrer sur l'ouvrage dont il était issu.

Alléger, évider, arracher le noir dense du trop plein de la matière, éliminer encore, dans toutes les directions quelles qu'elles soient, pour que nous restions en suspension à bonne distance du fond de la fosse des fosses. N'est resté que ce qu'il fallait du lest d'autrefois, une ou deux choses se sont élevées, consistantes, et ont atteint l'air libre, d'autres les ont rejointes et planent avec les hommes entre ciel et terre.

Nous en sommes à mi-parcours, les choses font encore la part belle aux mots, et les mots aux choses. Mais les mailles du filet qu'ils tendent réussissent de moins en moins à les retenir. Les unes et les autres gagnent chaque jour davantage leur quant-à-soi, l'espace qui les sépare grandit, leur nombre diminue. Le monde s'allonge, s'élargit et se vide de sa substance.

Avons-nous par le langage et dans le langage trop creusé de galeries, de galeries de galeries? Le monde apparent feuilleté de vides et de pleins est aujourd'hui comme une mine abandonnée, mots coques, fils ténus, fragiles alvéoles.

Celui qui a pressenti que tout allait s'effondrer dans le gouffre creusé par notre insatiable désir de mieux respirer doit-il en terminer avec la taille des trop nombreuses pierres d'angles?

Autrefois il n'était guère possible de passer entre le cityse et l'érable, aujourd'hui une armée d'éléphants s'y faufile sans peine. Le peu de choses qui persévèrent se donnent pourtant encore la main, elles seront bientôt chacune un continent sans porte ni fenêtre comme les âmes pures que nous devenons.

La vérité légère a pris de la hauteur, s'éloigne au firmament dans le ciel bleu, dans le ciel vide, sur le dos des mots ailés.

Jean Prod’hom

7



Il aurait souhaité que ses phrases atteignent la fluidité d'un liquide à faible viscosité et à densité variable, celle de l'eau pure à 4 degrés et, ça et là, la densité du bitume. Il faudra attendre encore.

Jean Prod’hom

Miettes



Nos villages coulent et rejoignent en aval les villes qui les aspirent.
Ils sont encore en soi mais ils ne sont plus pour soi, villages pour personne, à peine des amers qui scandent le grand espace globalisé.

Chacun est tenu de demeurer en équilibre sur un étroit chemin situé à égale distance du ventre de la mère et du désir du père, un chemin creusé par des forces opposées à égale distance du passé et de l'avenir, centripètes et centrifuges, le long duquel il lui appartient de marcher comme un funambule. J'en connais trop qui ont joué l'un contre l'autre.

– Qui es-tu? demande l'égaré à l'homme décidé qui le regarde dans le miroir.
– Ton père et ta mère! Et toi, qui es-tu?
L'égaré scrute le visage de son vis-à-vis, ses yeux se plissent...
– Je suis celui qui s'éloigne de l'un et de l'autre et, ce faisant, s'en rapproche.

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Le visage transparent et l'intelligence à fleur de peau il n'a pas de secret, il vit comme un ange qui traverse les nuées, sans l'ombre d'un vertige; il ne craint pas la profondeur des puits non plus, il y dort. C'est lui le secret.

Jean Prod’hom

Dimanche 22 février 2009



Bris orphelins, éclairs, cassures, je n’ai aucune ambition de recoller les morceaux. J'en observe soigneusement les bords et le motif pour ne pas succomber à la tentation d’en faire un picassiette. Je les maintiens distincts et éloignés, et vois apparaître les manques énigmatiques qui les séparent, nouveaux bris orphelins, éclairs et cassures.

Jean Prod’hom

Dimanche 1 février 2009



La mère remet à son enfant le langage dès sa naissance, d'un coup tout le langage. Elle lui offre ensuite jour après jour un bout de langue maternelle qui fond dans sa bouche comme une ostie et qui croît comme une mère de vinaigre.

Jean Prod’hom

3



Au comble de la nécessité, lorsque je prends conscience que nos pas suivent les ornières des chemins d’autrefois et qu’ils ne s’en éloignent pas, j’aperçois, allégé, là tout près, dans les landes mêlées de ronces, la bruyère qui s’incline au souffle de l’imprévu.

Jean Prod’hom

2



J'aurais souhaité ce matin que les reliquats de ma vie, dispersés dans ma mémoire comme les pierres sur un plateau d'un jeu de go, s'organisent et fassent pression pour retenir la machinerie qui terrasse l'avenir, et carillonnent comme les casseroles dans le sillage de la mariée.

Jean Prod’hom

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Il faut se garder de l’homme et de l’ours polaire. Pour les avoir bien observés, je ne relève au bilan aucune différence essentielle entre le premier – face d’ange, blancs conseils, bienveillance d’apparat – et le second – tête de peluche et crocs aveugles: leurs destins se confondent.
L’homme deviendra-t-il le compagnon du dernier ours polaire qui pleure sur la banquise? le dernier locataire du zoo de Saint-Félicien? Ou l’ours polaire, dans le silence des glaces, sauvera-t-il l’homme de son aveuglement?

Jean Prod’hom