Vie reste vie | Mort reste mort
Tu te penches vers le visage de l’absent qui s’efface lorsque tu t’approches de son secret. C’est ainsi que tu mesures la distance qui te sépare d’eux. Et moi, lorsque je me retourne pour m'assurer que le poisson arc-en-ciel que je croyais avoir saisi est bien dans la nasse, vivant, il me glisse des mains et s’éloigne, comme ces taches de lumière que je ne lâche pas derrière mes yeux fermés et qui rejoignent à grandes enjambées le ciel et les étoiles. Le chant est la trace d’un silence qu’on ne retient pas, il ne fera pas fléchir la loi.
Vie reste vie
Mort reste mort
Sisyphe et les Danaïdes perçoivent l’écho du chant d’Orphée dont la voix s’est tue. L’effroi des bêtes sauvages et les durs rochers, les chants des oiseaux nous rappellent sa mort. Les arbres prennent le deuil en octobre, les ruisseaux grossissent de leurs propres larmes au printemps, le beurre du chèvrefeuille ne parvient pas à les consoler. Ne te retourne pas tant que tu le peux, c’est ce temps qui fait le poème, les fragrances du lilas reviendront plus tard.
Jean Prod’hom
D'un coq à l'autre nous marchons
Trop souvent je vais et viens, sors de mes rêves pour me glisser sous les fourches de la raison, loin de la terre au coeur de laquelle je plonge les mains, dos tourné et remue. Pas le temps de descendre dans le puits, tout juste bon à maintenir intact le chemin qui me ramène le soir au rêve et à la nuit.
Dessous le ciel brûle et la terre tremble.
D'un coq à l'autre nous marchons vers ce qui aurait pu être une source.
Jean Prod’hom
Tu fais du café
Le soleil guigne derrière la chaîne des Vanils, s’engage sans but sur la route qu’il a tracée il y a longtemps déjà, une route simple dont il ne se plaint pas, un arc. Je me lève, les ombres jouent un air d’accordéon, aucun autre signe dans le ciel. Va falloir faire l’âne, aller en tous sens, payer mon écot. Pas d’échafaudages pour décoller du mur. Pas de mur non plus. Faire tourner la noria et commander du bois.
Se garder des grandes surfaces, le vrai relève du même. Jusqu’à épuisement. S’y faire.
J’allume une cigarette. Tu fais du café.
Jean Prod’hom
Nous dormons près d'un rêve que l’arbre a refusé
Suis-je seul à m’agiter ainsi, à passer à travers le jour, fait et défait par une inquiétude qui suit le calendrier des marées. L’écriture et la marche seules pour quitter le four et calmer le jeu.
Tu peines à te réveiller, goges dans un mélange indécis, à mi-distance de l’indifférence des plantes et l’inquiétude des bêtes.
Nous dormons près d'un rêve que l’arbre a refusé.
Jean Prod’hom
Qu'ainsi rien ne se referme
Tourner, tourner par cercles concentriques. Larges, plus larges, prendre ainsi la tangente.
Chaque jour.
Qu'ainsi rien ne se referme.
Jean Prod’hom
Veiller à ce qu’il ne manque rien
Distinguer les voix du dedans des voix du dehors, sans s’interdire de prolonger celles du dedans dehors et celles du dehors dedans. En veillant cependant à laisser ici et là les traces de notre passage, comme Poucet, pour dire que nous ne sommes pas seuls dans cette autre langue, que d’autres ont passé avant nous et ne se sont pas perdus, mais aussi pour à la fin rebrousser chemin et maintenir ainsi, aussi intacte que possible, l’étendue où l’énigme aime à se retirer.
Veiller à ce qu’il ne manque rien.
Ni la fatigue de l’homme ni la candeur du monde.
Jean Prod’hom
Je ne suis qu’un abord, sans appui
Trier, écarter, déplacer. Repousser les limites de l’incompréhension aussi longtemps que je le peux. Un rais de lumière, une oscillation, un bruit de clé, voici que le poème se met en branle, s’organise à mes dépens, danse les yeux fermés, dans le lointain d’abord avant de se glisser sous mes pieds.
Un poème n’est pas un poème, il est ce qui te livre au hasard et à toi-même, t’oblige à puiser ailleurs, à te transporter là où tu ne songeais pas aller, au milieu de ces blancs et de ce vide qui donnent vie aux choses, libérées soudain. Rien à quoi se tenir, au milieu de rien, tout se tient. Tu le disais :
Je ne suis qu’un abord, sans appui.
Mais ça je ne l’ai su que plus tard, au passage des cigognes. Confiance et fidélité.
Jean Prod’hom
T'en confier l'écriture
Le quartier est bouclé, la raison sans faille. Pas une brique d’air à Taulignan, difficile de soulever un coin du voile, il pleut.
L’eau coule en bas les génoises, pas de chenaux mais des dentelles, d’où ruissellent en torsades une ribambelle d’éclats de verre.
T'en confier l'écriture.
Jean Prod’hom
Écrire c'est te différer
Écrire c'est te différer. En restant où tu es.
Démêler, affranchir, déprendre. En redonnant à chaque chose la place qui lui revient, à chacun son visage et son tourment. De l'avoir fait occuper la place où écrivant je n'étais pas, avec dehors ce qui s'impatientait dedans.
C'est le printemps du monde que traverse le canal d'Aulières, les têtes sont vides.
Jean Prod’hom
Par quoi se fait le jour
La mer traverse le milieu du tableau, fine lamelle de zinc retenant le bleu du ciel. Dessous du gris à perte de vue, quelques taches de couleurs vives au premier plan. Les bateaux sur leurs béquilles ne bronchent pas, leur ventre grince. Les goélands ont mis en pièces la bande son, du silence à perte de vue.
Mais sitôt que la lune aura tourné le dos, le vent ramènera la vague et la mer se redéroulera.
Par quoi se fait le jour.
Jean Prod’hom
Petite cuisine
Envolé le mistral, sur la place on réapprend à parler, un maraîcher décharge une camionnette. Lui parviennent d'en haut, fenêtre ouverte, les voix d'un enfant et de sa mère mêlées aux nouvelles du monde que distille un antique transistor.
Petite cuisine où règnent le pain et les pâtes.
La veilleuse du tourment vacille, mais sous la peau de cuir un cœur bat.
Jean Prod’hom
Et puis : quoi
Le bonhomme sortait de son chapeau, le soir, deux ou trois choses dont il avait maintenu la tête hors de l’eau et qu'il avait roulées tout le jour à l'arrière de ses paupières. Elles s'affichaient animées derrière les miennes. Mais incapable de saisir dans mes mains, du premier coup, ces larges ensembles, je répétais à voix haute le nom de leurs parties à la lueur d'une lampe de poche, juste avant qu'une coulée d'encre ne les emporte, noire, une coulée sur lesquelles on soufflait, parce que c'est ainsi que les enfants inventent leurs vies, que les choses se précipitent les unes vers les autres, à tout hasard.
Et puis : quoi ?
Le banc est sous le couvert, les imprimés s'empilent sur la table, l'eau est coupée, l'atelier désert, l'épreuve passée. La lune est seule dans le ciel.
Jean Prod’hom
Où filtre un rayon de lune
C'est au fil à beurre qu’il fendait la nuit. Il y avait creusé des niches et dressé des autels portatifs, qu’il a fleuris aussi longtemps qu’il a pu, pour désengorger le trafic des humeurs.
Poèmes à larges anses.
Où filtre un rayon de lune.
Jean Prod’hom
Construire une cathédrale
Construire une cathédrale ?
Plus le temps.
Plus envie.
Les enfants s'étaient baignés dans la rivière, le soleil jetait par poignées ses paillettes parmi les pierres du gué, tu croquais une pomme et nous avions convaincu la nuit de retarder sa venue.
Jean Prod’hom
Tu me demandes si ça va
Tu me demandes si ça va.
Je suis allé ce matin jusqu'au fond de l'impasse de l’Abreuvoir, personne n'y va plus, les derniers locataires ont mené l'aventure jusqu'au bout, les déchets s'amoncèlent, les voisins ignorent même qu'il y eut là autrefois une impasse, et bien avant encore une passe.
Le canal n’a plus de nom. La girouette du clocher indique la direction du vent à contre cœur. Plusieurs concessions perpétuelles réputées en état d'abandon font l'objet d'une procédure de reprise dans le cimetière du village, la caserne est fermée. Comment dès lors pourrait-il en aller autrement. Ne t'inquiète-pas.
Jean Prod’hom
Car tout peut encore s'esquisser
Aucun mot pour désigner le vide autour duquel s'articulent nos fables et la succession de nos jours. Pas de mot non plus pour décrire la stupeur de la raison lorsque l'inattendu la paralyse. Le mistral penche ce matin en tous sens, la plaine cherche son assiette et des morceaux de récits passent en coups de vent. Fallait bien pourtant que je me fixe quelque part, placer un pont en garde à vue, y attacher une boucle, puis deux, trois, qui feraient tenir ensemble la miniature, et auxquelles viendraient s'agréger indéfiniment ce que nous avons sous les yeux et nos ignorances.
Car tout peut encore s'esquisser dans les marges, dans les blancs.
Je marche avec un ruban à la boutonnière, un papillon et une libellule blasonnent le talus, je reconnais les lacets d'une majuscule d'un vieil incunable. Le déferlement s'ouvre comme une fleur.
Jean Prod’hom
Ne laisser dans la main que le noyau du jour
Tu me conseilles de tourner la page, c'est ce que je fais. Quelques mots chaque jour, paire ou brelan, phrases réduites, allégées de ce qui va sans dire, deux fois trois mots. À la longue, ça ne fait pas un pli, ni un livre ni une vie, mais quelque chose qui leur ressemble.
Ce matin j'ai nourri les moineaux, me suis assis sur le banc pour donner forme à ce qui n'en avait pas, m'y suis pris comme une araignée. L'imprévisible s'en est mêlé. J'ai pris les devants, talonné par l'envie de bien faire, ai tourné les mots dans tous les sens avant de mettre debout la page. Manière à moi de nourrir les dieux, écran ou rempart à ce qui menace.
Une heure ou deux en fin de journée à goûter l'air d'après l'averse, avant que je ne m'avise que tout est à reprendre, l'incompréhensible ne se satisfait pas de mes mots.
Ne laisser dans la main que le noyau du jour.
Sortir. Je croque dans le verger deux cerises noires.
Jean Prod’hom
Que montrer d'un silence?
Le silence des vivants est doublement articulé, pas celui des morts. C'est pourtant lorsqu'ils réapparaissent au détour d'une pensée, sur un dressoir ou dans un coin du ciel que les visages de ceux que l'on ne reverra pas font entendre dans un silence énigmatique ce qu'ils ne parvenaient pas à dire de leur vivant.
Que montrer d'un silence?
Ses peuplades dans le réel?
Elles sont légion les réalités qui vont leur bonhomme de chemin, silencieuses, à l'écart du réel : le canal que je longe, le tilleul de la place, le vendeur d'abricots, un poème. Je vais moins seul de savoir les mondes qui nous séparent et me tourne vers vous comme un revenant.
Jean Prod’hom
Ce n'est que cela une maison
D'un côté l'étendue où coexistent les bêtes, les vivants et les morts, sans toi ni moi, des bois, des palais, des ruines et d'innombrables feux immatériels. De l'autre des notaires peu scrupuleux qui s'affairent, falsifient l'ordre des successions, bataillent pour un bout de pré, une section ou un quartier.
Le ciel s'obscurcit, les nuages passent sans s'arrêter. Un homme assis sur un banc peine à réconcilier l'écume de ses jours avec l'étendue de l'océan. Chacun se réjouit pourtant de son ombre et cherche dans le regard de celui qu'il croise la confirmation de son existence.
Ce n'est que cela une maison.
Jean Prod’hom
Nous traversons chaque jour le regard de l'ange
Nous traversons chaque jour le regard de l'ange...
Aucune requête mais un point fixe, une croix autour de laquelle nous risquons notre vie et qui nous oblige à prendre le large.
L'ange passe comme cet inconnu que j'aperçois en novembre dans l'encadrement de la fenêtre de derrière et qui jette un coup d'oeil de mon côté. De qui sommes-nous les hôtes?
Jean Prod’hom
Le reste est de chaque jour
La mort n'a aucune place hors de nos vies, bourdon elle accompagne nos réponses collectives, socle sur lequel on bâtit nos maisons, invente des théorèmes, usine des verroteries. Inutile de vouloir trop la forclore, inutile de vitupérer les impies.
Les précautions les plus sophistiquées ne suffisent pas. Gare alors, la mort remonte la chaîne des raisons comme un inarrêtable mascaret, ronge les conventions et inonde nos ruisseaux.
Le reste est de chaque jour, presque nu.
Jean Prod’hom
Entrer et sortir à chaque mot
La raison retient dans ses mailles les contours des océans mais laisse filer l'interminable vague et l'application des marins, ils ont laissé à quai leur visage, leur famille, le grain de leur voix, les vieux portulans. N’ont emporté que la peur dont aucun suaire ne conservera l'empreinte.
Le poète a ravaudé large, au risque de laisser passer les fantômes qui vont et viennent à leur guise sur la scène en montrant du doigt les absents.
Entrer et sortir à chaque mot, comme d'une maison.
Jean Prod’hom
S'en faire un lit
Le matin, il ne chassait pas la pensée qui obsède, ne la nourrissait pas non plus, la laissait dans sa mandorle lorsque cela se pouvait. Je ne connais pas d'autres voies pour disposer d'une cour et d'un jardin.
Prendre ta main, rentrer à la maison, tout faire pour sortir de nos quelques pensées, s'en faire un lit.
Et rejoindre avant la nuit le delta dans lequel le passé dégorge ses remèdes et ses poisons. C'est le moindre mal, ce qu'on peut espérer : une allée, les saisons, ce qui ne nous appartient pas. Et puis, et puis il y a demain.
Jean Prod’hom
Parmi les objets derrière son visage
Le vrais morts ne se démontent pas, les vrais morts veillent derrière le visage des vivants qui, s'éloignant, prennent un coup de vieux.
Un mort, ça vit avec un sourire d'ange.
Nous, nous sommes où il s'efface parmi les objets derrière son visage.
Jean Prod’hom
Quelque chose ne vient pas
Une double couche de laine dans le haut du crâne interdit tout échange thermique. Les mots font demi-tour un peu après la luette et redescendent jusqu’à la vésicule biliaire.
Quelque chose ne vient pas.
Le ciel ne s’en formalise pas.
Jean Prod’hom
Où aller s'il suffisait d'aller
Tu attends le retour du chalut, rongée par le sel, avec ta vie ailleurs.
Au Pérou, en Amérique et tout recommencer, tu as beau dire, ce n’est que le dehors d’une même prison.
Où aller s'il suffisait d'aller ?
Jean Prod’hom
Jusqu'au sommeil ? Jusqu'aux tournesols ?
Un prix exorbitant, tu ne l’imaginais pas, hors toute mesure, pour que ta vie se défaisant découpe sur les ruines des digues, à deux pas des vieux chromos, dans les rondeurs des voyelles et des consonnes, une maison sans tire-fonds. Je bégaie, c’est ma langue, celle qui accueille le tout venant, le canal de la mécanique et l’église ovale, les virgules, le jeu subtil des prépositions, le manque et ce qui ne reviendra pas.
Jusqu'au sommeil ? Jusqu'aux tournesols ?
Miné aux abords de l'aphasie, première étape lorsqu'on remonte du bing bang, mais si loin, et la sensation d'être plus loin encore. Tout au fond de la nuit que tu creuses à la lueur d’une fenêtre entrouverte, ou dedans avec une chandelle, une vallée qui déborde soudain le dormant de la fenêtre. Je suis bien vivant, un répit dans lequel je m’aventure, de l’autre côté et avec toi.
Jean Prod’hom
On attend quelque chose
On attend quelque chose.
Je pensais qu’un événement oublié – quelconque, négligé – viendrait du dehors et remettrait tout en place, comme avant, en mieux peut-être on ne sait jamais. Toi tu me disais que les travaux du dedans restaureraient les anciennes voies d’accès ou en aménageraient de nouvelles.
On a fait les à-fonds chaque jour, les dimensions du rêve se sont réduites, on va et vient à l’air libre, chacun pour soi, sans rien gauchir parce que notre confiance grandit. On n’est pas de trop, n’est-ce pas ?
Jean Prod’hom
On n'a qu'un peu de terre dans la voix
Les récits que tu lisais tenaient à distance les leurres qui les hantaient, les digues ont lâché. Il te faut désormais considérer les histoires côté cour, personne n’en sait rien.
Plus besoin de clé, les fenêtres et les portes sont grandes ouvertes. Les serre-livres ne retiennent que le souvenir du bras du père sur l’épaule du fils, grâce scellée au milieu des bris.
On n'a qu'un peu de terre dans la voix. Pour s’y coucher. Avec eux.
Jean Prod’hom
Seul contre son âme un homme ne pèse pas lourd
Seul contre son âme un homme ne pèse pas lourd.
Chaque jour j’écoute et parle, même geste. Et ce que je dis n’est rien d’autre que ce que je vous dois. J’ouvre au vent la maison du dehors pour nous mettre un instant à l’abri des cris du dedans.
Et je dure quand bien même il est trop tard.
Jean Prod’hom
Oui, mais Monsieur Berset, à quoi ça sert la politique ?
- Comment t’appelles-tu ?
- Louise.
- C’est un bien joli nom.
- Oui, mais Monsieur Berset, à quoi ça sert la politique ?
- Et bien, ça sert à trouver des solutions aux problèmes que nous rencontrons. C’est ce je dirai d’abord ce soir sous le grand chapiteau à l’occasion de notre fête nationale, à tes parents et à tous ceux qui viendront. J’essaierai de leur donner du courage car nous vivons une période mouvementée, instable, et les adultes ont tendance dans ces situations, un peu par crainte, à se replier sur eux-mêmes, à parler du passé : « C’était mieux avant. » Pas seulement en Suisse, dans les pays qui nous entourent aussi. Et personne ne sait quand les choses vont s’améliorer. Dans certains pays, plus de la moitié des jeunes ne trouvent pas de travail. Alors bien sûr, ici, nous nous portons mieux que chez nos voisins, et je le leur rappellerai, ça fera du bien à mes concitoyens. Mais tout n’est pas pourtant si rose chez nous, toute personne de plus de cinquante ans qui perd son travail a de la peine à en trouver un autre. Sur ce type de problème, un conseiller fédéral comme moi ne peut pas agir seul, les pays sont obligés d’agir ensemble. Pour agir chez nous, on ne peut ignorer ce qui se passe ailleurs, dans un monde où tout va si vite, dans lequel l’Europe cherche sa place, et au milieu de cette Europe la Suisse aussi, la sienne, C’est difficile de trouver des équilibres. Mais nous devons tous nous mobiliser pour intégrer chaque personne, de 7 à 77 ans. On ne peut pas se permettre de laisser de côté ceux qui sont dans des difficultés, c’est un des éléments qui a assuré le succès de la Suisse, sans jamais perdre de vue que nous ne sommes pas seuls. Voilà ce que je dirai ce soir sous le chapiteau. Et demain on devra répondre à tous ceux qui nous interrogent sur le fonctionnement de nos banques, la crise de la dette, l’échange automatique de données, la transparence fiscale,...
- Je comprenais un peu au début, mais maintenant...
- Comment t’appelles-tu ?
- Lili.
- Et bien, Lili et Louise, je vais essayer de dire les choses plus simplement. Disons que certaines personnes, parce que la vie est difficile, préfèrent ne pas affronter le présent, se rappeler le passé, les serments du Grûtli, la belle époque de la guerre froide, le monde était divisé en deux, les communistes et les capitalistes. Tout a bien changé et nous devons accepter ce changement. Mais les nouvelles réalités n’ont pas surgi de nulle part, il y a un lien évident entre le passé et le présent, et le passé est plein d’enseignements, il est le creuset de valeurs qui sont essentielles. Ce soir je parlerai de 1830 et de la paix du travail, de 1848 et du fédéralisme, de la démocratie directe, du plurilinguisme, des choses simples sur lesquelles repose notre pays et que tu comprendras mieux demain à l’école. J’évoquerai les capacités industrielles de la Suisse du XIXème siècle dont le développement a été presque aussi rapide que celui du Royaume-uni, ses capacités d’innovation sur le plan technique et scientifique. Mais je dirai ce soir aussi notre confiance et notre audace comme notre respect des traditions. Ce point est essentiel, une constante dans notre histoire, notre pays a vu naître aussi bien des constructeurs de ponts et des ingénieurs que des figures critiques. Tout progrès doit en effet être considéré d’un oeil froid, sévère même, sceptique, mais ce scepticisme ne doit pas coûter plus d’énergie que le progrès lui-même. La foi en l’avenir et les égards que l’on doit à notre passé sont les piliers de notre pragmatisme.
Je parlerai aussi ce soir d’un défi majeur, celui de l’évolution de la population, on doit se réjouir de vivre toujours plus longtemps en bonne santé, mais cet événement considérable dans l’histoire de l’homme nous oblige à nous engager dans des réformes importantes pour que nos assurances sociales restent performantes, il en va du lien entre les générations.
Je leur parlerai enfin d’une question qui fâche, de la politique suisse à l’égard de l’Europe, quelques mots seulement, immanquablement un peu vagues, je leur parlerai du pragmatisme qui commande nos actions. Aujourd’hui nous ne sommes pas menacés, aucune raison dans ces circonstances de rester sur la défensive, nous pouvons nous montrer sûrs de nous, créatifs et actifs, sans nous enliser dans nos mythes, en tirant du passé des sources d’inspirations qui nous permettront d’avancer. Ne pas fermer les portes, ce ne serait pas une attitude digne. Voilà !
- Comme tout cela est difficile !
- Pas tout compris !
Jean Prod’hom