La barre à mine
La chaux brûle mes paupières, la poussière met tes gencives à vif, avec au fond du gosier un goût de pierre, un goût de fer. Nos corps trempent dans la saumure, cockpit de camion, bras disloqué, un seul grillon. Il est midi, l’enfant a les lèvres sèches devant la porte ouverte du vieux frigo, le jour peine à tenir debout entre pelle et pioche. Personne ne songe à demander une rançon. Chacun pour soi dans ce brasier, les bras tombent. Monosyllabes passés au feu, mélange de souffre et de tabac. Derrière les herbes sèches une caravane, derrière la caravane la barre à mine que plus personne ne cherche.
Jean Prod’hom
Pacoton
Les prés s’écaillent, tas de barres, tas de rouille et volets clos, la mécanique déborde, des fils de fer sortent raide d’une boîte d’Ovo, les araignée prises au piège sèchent et cassent à côté d’une poignée de clous orphelins, la vie fait vis sans fin à Pacoton.
Pas de taille cette année, ni essence là où scies et fils se sont succédé à l’établi, on huilait les gonds en toute fin de saison, jetait des fagots et des taillés dans le four à pain, personne ne saura le nombre exact des bouteilles bues à Pacoton. Je marche sur les jours d’une autre saison, on a brûlé les outils de l’autre siècle, skis de bois sans bâtons. Seuls les légumes du potager chantonnent encore au-delà du jour fixé par le jardinier, picoti picoton, ne restera de cette chanson qu’un linteau de molasse avec écrit 1865 dessus, près de la cheminée d’un salon bourgeois.
Jean Prod’hom
Perle de culture
Un chardonneret
une bague au doigt
un collier au cou du chien
la laisse autour du mien
Jean Prod’hom
Glaise
Glaise
terre-glaire lise
dépouilles et détrempe
les chemins ont tourné au gris-abandon
patte molle qui fait cuirasse de fonte
insaisissable par ce temps de poisson
rien dans ce ramassis de feuilles rances
rien à débarder pas d’écailles
terre noire
menteuse et visqueuse
sort de son lit
encombre les flaques
se mêle au sable
colle
et puis gobe le ciel
Jean Prod’hom
Te le répète
Te le répète
reprends ton rimmel
ton dentifrice et ton fond de teint
plie ton linge de bain
et file !
on saura faire sans toi
Jean Prod’hom
Reprends tes billes
Reprends tes billes
tes cliques et tes claques
roule ton sac
et zou !
fous le camp
Jean Prod’hom
Profession temporaire
Ne pas s’offusquer des infidélités de la rivière
se réjouir du vent d’est
tomber de fatigue
siffler à l’aube
repérer le chemin de halage qui borde chaque chose
les ponts qui rompent leur solitude
mais rester fidèle à la claudication générale
sourire aux règles et aux coutumes
ne renoncer à aucun héritage
mais coller au plus près à la ronde élémentaire des saisons
ne rien retrancher
ne rien ajouter
simplifier ce qui peut l’être
élaguer
tailler
jeter
brûler
Jean Prod’hom
Un décor d’écorce de bouleau
La terre au ventre mou glaire, l’encre bleue des récits mêlée au sang noir de la tourbe, la boue coagule sens dessus dessous, fonte molle, jus lie et gras de bitume. Combien de bêtes épuisées ont renoncé à vivre ce matin ?
Un parapluie, un chapeau de feutre, des chaussures de cuir détrempées, ils se tiennent par la main dans un décor d’écorce de bouleau, tandis que dans la grange le blé bout dans l’alambic.
Jean Prod’hom
69
Je fonce
les paumes
mes yeux sont ceux des aveugles
le cri sous l’éteignoir
je ramène le jour
dessous les paupières
à même les os
vivants de mon crâne
et j'entends la forme d’une plainte
celle de la mer
dans le creux d’un coquillage.
Jean Prod’hom