Ne laisser dans la main que le noyau du jour
Tu me conseilles de tourner la page, c'est ce que je fais. Quelques mots chaque jour, paire ou brelan, phrases réduites, allégées de ce qui va sans dire, deux fois trois mots. À la longue, ça ne fait pas un pli, ni un livre ni une vie, mais quelque chose qui leur ressemble.
Ce matin j'ai nourri les moineaux, me suis assis sur le banc pour donner forme à ce qui n'en avait pas, m'y suis pris comme une araignée. L'imprévisible s'en est mêlé. J'ai pris les devants, talonné par l'envie de bien faire, ai tourné les mots dans tous les sens avant de mettre debout la page. Manière à moi de nourrir les dieux, écran ou rempart à ce qui menace.
Une heure ou deux en fin de journée à goûter l'air d'après l'averse, avant que je ne m'avise que tout est à reprendre, l'incompréhensible ne se satisfait pas de mes mots.
Ne laisser dans la main que le noyau du jour.
Sortir. Je croque dans le verger deux cerises noires.
Jean Prod’hom