Le chemin du retour
Les circonstances les avaient rendus extrêmement prudents près d’Ussières en raison de la nuit qui était tombée. Les feux se mêlaient à la neige détrempée qui goûtait du toit et à des traces de doigts. L’homme et l’enfant grimaçaient pour parer à ces saletés, ils se faisaient petits, tout petits pour pénétrer incognito dans la nuit, comme des rescapés. Le bruit du moteur plongeait le peu qu’ils voyaient sur les bas-côtés dans cet inquiétant silence que sécrètent les images dans les salles vides des musées.
Zénon se confia.
- J’ai l’impression que nous sommes immobiles, que nous roulons sur place et que seul le le décor change. J’ai l’impression que nous avançons sur un ruban bouclé sur lui-même qui entraîne avec lui sur ses côtés un double décor. Mais c’est nous qui déroulons le ruban en avançant comme des otaries.
Il reprit un peu avant la Râpe avec le même gravité.
- Certains lieux se ressemblent et je les confonds. Le pont de Vers-chez-les-Rod, le bout droit d’avant Ussières, Palézieux. Le creux sous Corcelles qui est comme celui sous Mézières. Mais aussi la patte d’oie du bois de Ban qui ressemble à celle du bois Vuacoz. Tous ces lieux sont comme un seul lieu.
Zénon n’en dit pas plus. Peut-être songeaient-ils dans le silence qui se prolongeait que leurs respirations, les allées et venues, la crainte de se perdre, les morceaux de réalité cimentés par quelques vieilles certitudes prêtaient aux parties du monde une identité qu’ils n’avaient pas, paysages, idéogrammes fragiles qu’habitent nos vies sans éclat.
Ils avaient beau chercher, les indicateurs de direction avaient disparu. Il rentrèrent à tâtons dans l’autre nuit, ouvrirent la porte de la voiture. Le père et le fils se mirent à chanter dans la nuit déserte, c’était chez eux.
Jean Prod’hom