Un tour encore



On dit oui et les idées se multiplient comme si on écartait les bras, heureux d’avoir un pays et toute la journée devant soi. On fait un pas, deux pas en direction du quelque chose qui tient ensemble l’horizon, impose sa loi sans qu’on sache vraiment comment et pourquoi, donne chair aux ombres et aux mirages croisés en chemin. On veut s’approcher pour y voir clair, le temps presse, plus près encore, et le temps dont on dispose fond à mesure qu’on prend les dimensions de ce qu’on laissera à la fin derrière soi. Il ne reste bientôt plus rien, il faut se hâter et glisser quelque chose dans le seau qui fuit, n’importe quoi, quelque chose. Mais comment faire tenir debout et solide ce qui s’étale et réduire ce qui fut à quelques mots? Faudra-t-il toujours mettre un peu de la lumière sous le boisseau pour ne pas tout abandonner et détaler les mains vides?
Arrivé au tournant du jour, la bouche est sèche, on aligne quelques mots qu’on espère pourtant fidèles. Plus jamais ça, on ne nous y reprendra pas, trop dur. Mais ce sont d’autres mots qui parlent soudain, sous la dictée desquels l’imprévisible jette ses mailles, et on respire à nouveau. Deux lignes ou trois qui déroulent leur foulée. On sourit d’avoir à peu près réussi ce qu’on ne pouvait complètement manquer et qu’on a cru un instant pouvoir faire naître au forceps. C’est fait, on a lacé à notre insu, une fois encore, les deux bouts de l’horizon.
Le beau temps revient avec le soir, les verts et les ocres de la plaine confondent leurs impressions, la nuit dénouera les noeud du jour et on se lèvera allégé demain. Sisyphe aura retourné le sablier, on aura devant soi un pays tout neuf, le viatique pour un tour de manège et toute la journée devant soi.
Je rêve ce soir à un horizon qui ne se réduirait pas à l'empan de notre courte mémoire mais à l'envergure de nos bras étendus, à un horizon qui aurait, un matin, l’horizon pour horizon.

Jean Prod’hom