La piscine de Valréas
Me retrouve à un peu plus de 8 heures sur la terrasse de Grillon, pour une grosse heure, sans mon IPad que j'ai oublié si bien que je n'écrirai pas ces notes comme je l'ai fait ces derniers matins... plus tard. Ce qui ne m'empêche pas de goûter à l'air qui circule tout autour, une circulation provoquée par d'innombrables ouvertures, celle du Restaurant de la Truffe devant lequel le patron balaie, celle de l'église – sans que personne n'y entre ou n'en sorte. Il y a aussi les pages du Provençal ou du Dauphiné que les clients tournent en hochant la tête, il y a les fenêtres de Cash ou Bingo que des femmes grattent en rêvant au million, il y a des morceaux de ciel bleu qui frissonnent avec les feuilles du platane, et l'eau qui goutte au goulot de la fontaine. Deux vieux s'arrêtent sur le seuil de l'église et consultent l'avis mortuaire qui invite les amis de Ginette à venir demain rejoindre ses proches parents, et sainte Agathe, pour lui rendre un dernier hommage. Le jour est sur ses rails.
Termine après le déjeuner de désherber la terrasse ; les rosiers et le figuier ont pris résolument leur place, la sauge et la sarriette adossées au mur en manquent. Les deux arbres fruitiers, des abricotiers (?) sont tout jeunes, ça prendra encore quelques années mais ils ont le temps. Les lavandes sur lesquelles butinent des abeilles et le romarin auquel le liseron se mêle sont chez eux. J'espère ne pas avoir arraché de nouveaux-nés. Quant au mirobolan - je lis son nom sur une étiquette qui lui pend au cou -, il suit les indications du manuel déniché dans la bibliothèque, qui décrit ce prunier comme peu vigoureux et appréciant les sols très humides. C'est réussi, le tronc est sec de chez sec.
Si la piscine de Nyons accueille les gens du cru, les familles, les retraités, les estivants, des colonies d'enfants et d'amoureux, il n'en va pas de même avec celle de Valréas, on y était en fin d'après-midi. Elle est occupée essentiellement par des adolescents qui n'ont pas l'occasion de partir en vacances et que les parents n'ont pas le temps d'emmener sur les toboggans de Nyons. Ils font ensemble une petite équipe de joyeux drilles qui plongent, rient, sautent, crient tout autour des trois bassins. Ce sont des habitués qui ont la particularité de ne pas être les enfants les plus faciles de cette petite ville du Vaucluse touchée par le chômage. Pour les distraire, on a élevé des plongeoirs d'un, trois et cinq mètres. Pour le reste peu d'ombre, un petit coin d'herbe et du béton. Comme les esprits sont toujours prêts à s'échauffer, la commune a délégué des médiateurs pour garder un œil sur ces gamins. Ils fonctionnent en binômes, on m'a expliqué qu'ils jouaient le rôle de grands frères, ils sont six dans la commune et travaillent à plein temps. Pendant l'été ils secondent les maîtres-nageurs qui ne manquent pas de travail, c'est en effet à la piscine que ces gamins se retrouvent tous, ils ont 8, 10, 12 ou 16 ans.
Cet après-midi, ça a failli mal tourner, les gamins ont occupé le plongeoir interdit d'accès à cause de l'affluence. Les injonctions du maître-nageur n'ont pas suffi, deux policiers s'en sont mêlés, mais fort heureusement de loin, ils sont repartis rapidement alors que le maître-nageur insistait pour se faire entendre. La vingtaine de gamins ont flairé l'aubaine, le maître-nageur a voulu montrer qui commandait en bouchonnant l'un des enfants désobéissants. Ses copains ont plongé alors dans le grand bassin et entouré leur héros. J'ai craint le pire, Sandra a trouvé que c'était le moment de rentrer, je suis resté jusqu'à l'arrivée des deux responsables de l'association des jeunes de la ville, des gens respectés, les gamins se sont mis au garde-à-vous, ils sont tous partis.
Cette après-midi n'a pas été perdue, Arthur, Louise et Lili ont eu droit à leur première leçon de sociologie appliquée, ils n'en ont pas perdu une miette. J'aime bien la piscine de Valréas.
Je lis ce soir les trois dernières parties de la biographie de Nicolas de Staël écrite par Laurent Greilsamer, une lecture expresse pour le passage d'une étoile filante.
Jean Prod’hom