Inconstance et vanité du monde
Jean-Jacques et Pierrot ont déroulé pieds nus un drap sur les hauts du Riau, sans pli. Puis les routes ont chaussé à l’entrée de Ropraz des souliers noirs et vernis. Je dépose Arthur à l’arrêt de bus d’Ussières, les filles à celui de Corcelles. Je roule au petit trot en écoutant la radio.
L’animateur des Matinales d’Espace 2 a lancé la question du jour : Quel événement met un terme au conflit qui opposa le duc de Savoie au roi de France il y a un peu plus de quatre siècles ? Le traité de Vervins peut-être ? Ou celui de Lyon ? je n’en sais trop rien. Le type dans la Nissan qui roule devant moi saisit son portable, il semble avoir la réponse. Mais qui donc joue à ces jeux ? des gens qui voudraient être rassurés, des ignorants qui ne veulent pas le savoir, des retraités désoeuvrés, des amateurs éclairés ou passionnés ? Des plaisantins répondront à tout hasard qu’il s’agit du traité de Saint-Julien, d’Evian ou de Bourg-en-Bresse, de Soleure ou d’Aix.
Pendant ce temps le journaliste rappelle le contexte et le rôle de René de Lucinge, humaniste chargé de la diplomatie auprès du duc de Savoie, qui échoua auprès d’Henri IV. Le roi imposera sa paix, René de Lucinge, disgracié, se retirera aux Allymes. Quant à Charles-Emmanuel Ier de Savoie, il a très mal digéré ce traité dont l’auditeur doit trouver le nom, la Savoie a perdu le contrôle sur la région du Rhône qui va de Genève à Lyon, la Bresse, le Bugey, le Pays de Gex. Le duc de Savoie se tourne alors sur Genève pour passer sa colère, c’est l’escalade.
On roule désormais au pas sur Sainte-Catherine et j’écoute la musique de Claude Le Jeune que la radio propose, extraite d’un programme conçu et dirigé par Anne Quentin : Inconstance et Vanité du Monde, c’est beau.
C’est donc le traité de Lyon, le 17 janvier 1601, qui met fin à la guerre entre le royaume de France et le duché de Savoie. Six candidats ont trouvé la bonne réponse. L’animateur félicite le gagnant qui a été tiré au sort. Le nom du bonhomme ne m'est pas inconnu, mais le journaliste ne semble pas le connaître, c'est un Valaisan de la région de Conthey.
Je m’informe sitôt arrivé au collège, l’homme n’est en effet pas le premier venu, son curriculum aurait fait pâlir d’envie René de Lucinge lui-même. Il s’agit d’un professeur honoraire du Département d'histoire de l'art de l’une de nos universités, professeur associé d'Histoire de l'art monumental régional, invité d’abord, titulaire ensuite, invité encore. L’heureux gagnant du concours des Matinales, un peu chanceux tout de même, est l’auteur de plusieurs ouvrages savants, il a été le directeur d’un inventaire des Monuments d'art et d'histoire, enseignant au Technicum supérieur de La Chaux-de-Fonds, directeur de fouilles auprès d’un bureau d'archéologie à Moudon, directeur et commissaire scientifiques de diverses expositions, rédacteur et auteur de catalogues, président et vice-président de jurys, de sociétés savantes, d’académies, locales et internationales,…
Ce n’est pas tout, pour sa participation aux Matinales d‘Espace 2, le bonhomme pourra ajouter une ligne à son long curriculum, il a reçu en effet pour sa bonne réponse trois mois de café La Semeuse.
Jean Prod’hom