Pour aller où je veux
Le réveille-matin les fait fuir chaque matin. Inutile toutefois de prendre rendez-vous avec eux, ils sont là lorsque je me fonds le soir dans leur pâte noire. Ils portent d’autres noms, endossent d’autres formes, s’animent et se confondent avec leurs masques. J’ai été cette nuit premier de cordée, me suis attardé auprès d’un gardien de quartier, j’ai laissé des empreintes dans un espace où les connexions se chevauchent et les perspectives s’incurvent, où les relations mises à plat se métamorphosent en emboîtements de nuages mous. Impossible de distinguer l’araignée de la toile. Le marionnettiste serré de près par les fils de sa poupée se retourne mollement dans ses bras, l’un et l’autre ignorent qui des deux rêve.
J’accueille chaque nuit les insomnies d’un rêveur, mais à la première vague les traces de ses aventures s’effacent, à perte de vue. Impossible de retenir quoi que ce soit lorsque le jour me tire par la manche, je suis nu. Ses aventures liquides ont rejoint au pied de la lune celles des enfants, des chats et des chiens. Nous avons chacun assuré la partie d’un même rêve, à l’image de l’entretien sans fin que les hommes mènent sur la terre. On se partage la déception de ne pas comprendre.
Je sors la tête de l’eau, fais une balade, quelques courses, de quoi assurer ma subsistance. Jusqu’au jour où je ne me réveillerai pas, sans savoir alors si c’est l’insomniaque que j’ai accueilli qui s’est éclipsé, ou si j’ai été capable de me hisser sur les berges de l’autre rive.
Pour aller où je veux.
Jean Prod’hom