Langage porte-greffe
Me semble parfois perdre de vue le propos, m’en désintéresser même et n’avoir en vue que le mouvement de quelques phrases ordinaires qui ne cessent de s’éloigner et de revenir, l’une par l’autre, l’une pour l’autre, dans l’autre, vers l’autre, relancées par une virgule, ou son absence, relayées par un qui ou un que, une imprécision, un silence, une tournure.
S’installe alors le besoin de serrer toujours plus étroitement le jeu des éléments qui concourent à ce quelque chose qui répand ses effets de part en part de ma respiration, sans méthode, rythme et musique sommaires, mélodie toujours davantage épurée tandis que la main se lève et dessine une ondulation spirituelle, ne laissant à la fin que la trace de son surgissement, mais qui aura eu pour effet de porter le trait assez loin et avec suffisamment de force pour qu’il pénètre l’air comme la charrue la terre, sans bruit, puissance du langage qui mène ou ramène les choses là où elles fleurissent et d’où j’étais parti.
Le langage ne se charge que de ce qu’il peut, se retire lorsqu’il en a fini, comme l’un de ces robustes et inusables remorqueurs, la mer est trop haute, il laisse dans son dos le bleu du ciel, une destination, la mémoire. Il est alors temps de mettre un point final et le nez dehors, là où s’élance le greffon que le langage porte-greffe a nourri.
Jean Prod’hom